Jeu vidéo, jeu de société : même combat ?

Jeu vidéo, jeu de société : même combat ?

Cet article fait partie d’un dossier en trois parties sur le thème des ponts entre jeux vidéo et jeux de société. Le dossier est organisé comme suit :


1. Introduction

La nouvelle ne vous aura sans doute pas échappé : il y a peu, le Kickstarter pour la création d’un jeu de société Dark Souls a récolté près de 5 millions d’euros, c’est-à-dire plus de 70 fois la somme demandée pour que la campagne soit une réussite. Le projet a été financé en trois minutes, et la somme totale réunie en fait le 12ème Kickstarter le plus financé de l’histoire.

Trois semaines plus tard, deux adaptations de jeux vidéo en jeux de société faisaient également leur apparition sur Kickstarter : This War of Mine et Plague Inc. This War of Mine proposait de transposer le jeu vidéo du studio polonais 11 bit Studio en jeu de société. Succès fulgurant : le Kickstarter fut financé en deux heures et, à l’issue de sa campagne, le projet fut financé à 1.500% du budget demandé. Parallèlement, le jeu de cartes basé sur Plague Inc. fut financé en 11 heures et a été financé à hauteur de 1.000% du budget demandé…

Il ne fait nul doute que l’engouement pour ces trois projets provient en grande partie du succès des jeux sur lesquels ils se basent. Nul besoin d’évoquer la gigantesque fan base de la licence des Dark Souls, le succès acclamé à la fois par le public et les critiques de This War of Mine, ou encore celui de Plague Inc pour comprendre la source du succès de ces projets. Est-ce à dire pour autant que celui-ci est uniquement dû au fan service ? Permettez-nous d’en douter. Au contraire, une réelle tendance est en train de se profiler : on peut en effet remarquer une augmentation à la fois du nombre de jeux de sociétés produits et de la qualité de ceux-ci.

Une nouvelle ère

La barrière à l’entrée est bien plus basse, surtout en ce qui concerne les jeux de société. (…) Tout ce dont vous avez réellement besoin, c’est un crayon et du papier.Albert Mach (propos recueillis par Olivier Roeder)

Au niveau quantitatif d’abord, la hausse du nombre de jeux de sociétés produits ces dernières années s’explique notamment par l’émergence des plate-formes de financement participatifs (Kickstarter, Hulule, KissKissBankBank, IndieGoGo), qui ont le mérite de mitiger les risques financiers liés à la création d’un jeu que l’on ne pouvait jadis que difficilement mesurer [1]. Ainsi, rien que sur Kickstarter, 1.396 jeux de société ont été financés en 2015.

Au niveau qualitatif ensuite, comme l’expliquait très justement Will Freeman en 2012, nous assistons depuis plusieurs années à une nouvelle ère dans les jeux de société. S’aventurant au-delà des jeux plus traditionnels tels que Monopoly ou Trivial Pursuit, une nouvelle génération de jeux de société, dépassant la dichotomie traditionnelle des écoles dites « à l’américaine » et « à l’européenne », voit le jour. Abordant des thèmes plus matures et proposant des mécaniques de jeu plus complexes, cette new wave va même parfois jusqu’à se rapprocher de certains jeux de stratégie hardcore. C’est ainsi que des titres tels que Caverna, Carcassonne, ou encore Terra Mystica proposent une profondeur de jeu qui apporte un véritable second souffle au medium.

Il y a de nouveaux titres qui vous permettent de construire des villages médiévaux, de reconstituer des batailles clés de la Seconde Guerre mondiale, de vous attaquer à des débats politiques ou de gérer la propagation d’une maladie, et ils se vendent comme des petits pains. Des thématiques matures telles que les séries policières noires et les conflits religieux offrent une variété époustouflante, et des concepts inhabituels tels que le « storytelling stratégique » poussent les conventions de ce format bien au-delà du simple jeu de cartes et de dés.Will Freeman

Et c’est bien cette nouvelle mouvance qui permet, aujourd’hui plus que jamais, de créer des ponts entre jeux de société et jeux vidéo. Le jeu de société est plus mûr que jadis, ose aborder des thèmes engageants et engagés, plus sérieux et plus immersifs. Il devient donc par la même occasion un medium d’accueil pertinent pour une transposition de jeux vidéo dont le storytelling ou les mécaniques de jeu ont bien longtemps été trop complexes pour en permettre une adaptation fidèle.

De nombreux liens peuvent aujourd’hui être noués entre jeux vidéo et jeux de société, mais il n’en a pas toujours été ainsi… Je vous invite à consulter la deuxième partie de ce dossier afin d’avoir un petit aperçu historique sur cette relation si intime.

[1] À ce sujet, Olivier Roeder (journaliste chez FiveThirtyEight), explique dans un article que le rôle des plate-formes de financement participatif dans la renaissance des jeux de société est double. D’abord, ces plate-formes sont un bon moyen d’estimer la disposition du marché à acheter un jeu. Ensuite, elles ont un rôle de démocratisation dans la mesure où elles permettent de supprimer l’intermédiaire que constitue l’éditeur du jeu, et de s’adresser directement aux consommateurs finaux. Cela présente donc le double avantage de mettre en place un dialogue entre producteur et consommateur, et de permettre à ce premier de garder une entière mainmise sur son produit, puisque libéré des contraintes souvent imposées par l’éditeur. 

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