Vampyr – une (De)rivière de sang en musique

Vampyr – une (De)rivière de sang en musique

Olivier Derivière se revendique comme un « vrai » gamer. Un joueur régulier qui cherche plus loin que la simple expérience ludique et tente de comprendre les rouages faisant tourner un jeu vidéo. Sa passion pour cette forme créative, il l’exploite pour composer de la musique… interactive.

Olivier Derivière (à gauche) et le violoncelliste Éric-Maria Couturier

On qualifie la musique d’interactive quand elle suit et appuie les actions du joueur. On en trouve dans beaucoup de jeux, mais Olivier Derivière accorde une place centrale à cet aspect dans ses compositions. Du survival horror Obscure à l’action-RPG Vampyr, il en a parcouru du chemin dans sa recherche sur la musique interactive.

Bien entendu, Olivier Derivière est aussi un musicien. Après une formation classique au conservatoire de Nice, il obtient une bourse d’étude dans une école de musique à Boston, où il expérimentera davantage la musique de film. Il se rapproche alors de plus en plus de la musique de jeu vidéo, ce qu’il a toujours rêvé de faire. Influencé aussi bien par des compositeurs classiques que par Peter Gabriel ou Aphex Twin, Olivier Derivière a réuni tous ses goûts personnels pour créer des bandes-son riches et innovantes. Sans jamais oublier le joueur qu’il est.

Le compositeur français se fait vite un nom avec son travail sur le reboot d’Alone in the Dark. Très élégante, sa bande-son se démarque de l’ordinaire dans un survival horror. La grande originalité de cette BO réside dans l’utilisation des chants d’un chœur bulgare. Le résultat prend aux tripes et procure parfois un sentiment d’étrangeté, pile ce qu’il faut pour un jeu d’horreur.

Après la BO du jeu de rôles Of Orcs and Men, Olivier Derivière va nous offrir sa bande-son « signature » sur Remember Me de Dontnod (qu’il retrouvera justement pour Vampyr). Ce jeu d’action à l’univers très installé a besoin d’une musique atypique, notamment pour renforcer ses phases de combat. Le résultat est magistral ! L’accompagnement musical des combats suit parfaitement les différentes phases des combos et fait tout pour ne pas se répéter (l’une des marottes du compositeur français). Mais ce n’est pas tout, car la création même de la musique est très originale. Le budget débloqué par Dontnod permet à Olivier Derivière de faire appel à un orchestre pour l’enregistrement. Ensuite, les morceaux « live » se font triturer dans un ordinateur pour les transformer par petites touches électro. Au final, le joueur croit entendre un concert symphonique que dirigerait Richard David James alias Aphex Twin.

Les projets se succèdent : le DLC autonome « Le prix de la liberté » pour Assassin’s Creed IV Black Flag (enregistré à l’Orchestre philharmonique de Bruxelles) et The Technomancer. Chez Bandai Namco, Olivier Derivière signe ensuite la bande-son du FPS d’horreur Get Even, pour lequel il pousse encore plus loin l’interactivité musicale. Bien adaptée à l’ambiance terrifiante, la musique proprement dite de Get Even est oppressante et remplie de cliquetis, de sirènes et de bruits divers qui sortent de l’univers du jeu. On appelle cela de la musique « source » ou « diégétique » pour désigner le fait que les personnages du jeu l’entendent aussi. Le gros plus est ici que les sons internes à l’univers du jeu vont se synchroniser avec la musique extérieure (celle que seul le joueur entend). Tous les bruitages suivent le rythme général et génèrent un ensemble d’une cohérence inouïe. De plus, certains bruits réels (un train, par exemple) se fondent progressivement dans la masse pour devenir la composition interprétée par l’orchestre. Du grand art qui produit une bande-son « incroyable, puissante et perturbante » (je cite notre test).

Outre ces productions à gros budget, Olivier Derivière s’aventure aussi dans le jeu indé. Pour son ami développeur, il se charge ainsi de la bande-son de Harold, un jeu de course à pied très exigeant. Dans ce projet, il se montre toujours plus défenseur de la musique fonctionnelle et pas seulement illustrative. En gros, il fait en sorte que sa musique contribue à obtenir l’engagement du joueur, à lui procurer de l’information ludique, à lui donner la sensation de progresser et enfin à le récompenser. Encore une fois, la musique d’Olivier Derivière est au service du gameplay et pas l’inverse. Dans un jeu où l’on meurt très souvent, le compositeur multiplie les initiatives pour ne pas lasser et punir le joueur, comme le lancement des morceaux à un endroit aléatoire pour éviter à tout prix la répétition sonore. Enfin, un ensemble de gospel éclate vos haut-parleurs à chaque fois que Harold dépasse l’un de ses concurrents. Une manière d’ajouter une tonalité sacrée à l’ambiance angélique du jeu, et surtout un moyen de donner une patate d’enfer au joueur qui progresse.

Vampyr

Olivier Derivière conçoit ses compositions d’une manière tellement interactive qu’il avoue éprouver des difficultés à les isoler dans des albums. Ces disques indépendants sont pourtant prisés des amateurs, qui reconnaissent aussi le talent du musicien français pour écrire de magnifiques thèmes. La preuve, avec le thème principal de Vampyr.

Vampyr raconte l’histoire du médecin Jonathan Reid, qui s’extirpe de la Première Guerre mondiale avec un goût de sang en bouche. Un vampire vient de le transformer en l’un de ses semblables, et l’appel de l’hémoglobine se fait déjà ressentir… Nous nous trouvons à Londres en 1918, une ville grignotée par la grippe espagnole et en proie à une étrange menace. En bon serviteur de la nuit, Jonathan Reid parcourra les rues dans la pénombre, seul.

La solitude du prédateur dégoûté par sa nouvelle nature s’entend distinctement dans le thème principal. Le violoncelle, joué par Eric-Maria Couturier, insiste sur la dualité du médecin vorace en employant la technique de la « double corde », qui produit l’effet recherché à la perfection. Le majestueux instrument personnifie le héros et exprime d’abord sa douleur, sa mélancolie, son mal-être général, son combat intérieur (« The Struggle »)… avant que la tension ne monte en même temps que la soif du jeune vampire. La deuxième moitié du thème est donc très énergique et aurait sa place dans la série Castlevania, dont on rêve qu’Olivier Derivière pourrait composer la musique d’un futur épisode !

La voix humaine est un autre instrument qu’Olivier Derivière utilise à merveille. Elle se fait entendre dans le morceau « The Thirst », où elle exprime l’attrait irrépressible pour le sang et résonne toujours plus fort dans la tête du héros. Quoi qu’il fasse pour oublier sa nouvelle existence, les voix diaboliques seront là pour lui rappeler l’urgence de se nourrir et le vice de la chasse. Cette scène en jeu est très impressionnante, les voix montant en volume à mesure que le héros s’approche de sa première victime désignée, et quelle victime ! Une fois les crocs enfoncés, la révulsion de Jonathan Reid pour lui-même sera totale.

À table !

« New Home » rejoint l’énorme troupe des morceaux de jeu vidéo qui évoquent le foyer comme symbole du calme et de la protection. On se sent bien dans cette ambiance chaleureuse et apaisante ; on s’imagine que tout cela n’était qu’un cauchemar. Pourtant, il est impossible d’être sourd à la réalité de notre malheur : ce repos ne sera que temporaire.

« The Lady » introduit la flûte basse et son personnage correspondant, une vampire chevronnée. Tout y est représenté : le respect, l’étrangeté, la méfiance et la familiarité. La relation entre Jonathan Reid et cette guide maléfique s’annonce intéressante….

Parallèlement à ces instruments classiques qui reproduisent des émotions humaines, l’électro sert ici à illustrer le contexte industriel qui s’ouvre à cette époque. Alors que la machine s’éveille, les créatures de la nuit sont toujours là pour susciter la terreur mystique. La peur de soi ne s’éteindra d’ailleurs jamais dans le cœur froid du héros, et ce formidable violoncelle l’appuiera jusqu’au bout.

La BO de Vampyr est encore une splendide réalisation pour Olivier Derivière. Si son caractère interactif ne se goûtera qu’en plein jeu, elle recèle bien assez de qualités mélodiques pour s’écouter seule.

Sources

Pour poursuivre votre exploration de l’œuvre d’Olivier Derivière, nous vous recommandons les sources suivantes :

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