Haven

Haven

L’amour chevaleresque est le pain quotidien du jeu vidéo – le preux Mario qui sauve la pauvre Peach sans défense. Par contre, l’amour dans l’intimité du couple se fait plus rare dans nos aventures vidéoludiques. Haven fait ainsi figure d’exception.

Haven est la nouvelle création des Game Bakers, un studio que vous connaissez tous, je l’espère, pour l’incroyable Furi. Un jeu d’action tellement bien calibré qu’il a généré un grand groupe de fans (dont je fais partie) prêts à suivre le studio français partout où il irait. Plutôt que de mettre en chantier un Furi 2 qui se serait vendu tout seul, The Game Bakers a changé de registre et pas qu’un peu en développant un jeu de rôle centré sur l’amour. À partir du boss rush personnifié par le héros impassible de Furi, on peut parler de grand écart.

Les deux héros de Haven ont quitté « Le Rucher », une société totalitaire dont le principal tort aux yeux de nos amoureux est de programmer les unions. Or, Yu la fille et Kai le garçon sont entichés l’un de l’autre par la seule force de la nature. Ils choisissent donc de fuir et de vivre leur idylle sur une autre planète. Leur nouveau chez-eux inhabité semble être à l’abri des regards du Rucher et ils s’installent plutôt à l’aise dans leur vaisseau. Le vaisseau de Yu en l’occurrence, qu’elle a baptisé le « Nid » et qui servira bel et bien de demeure au jeune couple.

L’intérieur du Nid est aménagé comme un appart’ normal : lit, douche, cuisine et quelques spécialités comme des bornes permettant de générer des objets de soin. Vous flottez en vue subjective dans le vaisseau, où vous croisez Yu et Kai en train de glander dans l’une des pièces jusqu’à ce que vous leur donniez un ordre. Cette représentation de spectateur ne vous fait pas choisir entre Yu et Kai, mais vous présente leur vie de couple comme au théâtre. Le jeu vous demande certes de sélectionner parfois une ligne de dialogue, mais l’essentiel réside dans l’observation pure de l’intimité de nos deux exilés.

Comme il s’agit du principal attrait de Haven, approfondissons cet aspect réussi selon moi. Yu et Kai s’aiment d’un amour de jeunes, fait de longues discussions et d’un contact quasi permanent entre les corps. Les deux tourtereaux ont encore beaucoup à apprendre sur leur partenaire et ne demandent qu’à faire plus connaissance, y compris sur le plan sexuel. À ce propos, la passion fait souvent chauffer la température sexuelle entre les deux héros, mais sans jamais vous forcer à éloigner les enfants de l’écran ou à leur boucher les oreilles. Toutes les allusions à une partie de jambes en l’air devraient passer au-dessus de la tête des plus jeunes. Rien n’est donc graveleux à l’extrême ni explicitement représenté, il s’agit du sexy du quotidien dans ce qu’il a de plus mignon. Comme on verrait deux adolescents sur un banc public, les jambes entrecroisées, qui ne laissent pas entendre les cochonneries qu’ils se chuchotent. Cette complicité et cette attirance, Haven les retranscrit très bien avec juste la naïveté qu’il faut. J’ai été touché par ce petit couple, une jolie fille et un beau mec, c’est vrai, mais pas non plus des stars de cinéma au physique exceptionnel.

Comme pour deux jeunes pas pressés de quitter leur lit, la sortie du vaisseau se fait quand vous le sentez. Une fois à l’extérieur, vous vous retrouvez dans un petit environnement relax où vos objectifs sont assez zen : cueillir des fruits et légumes à cuisiner et trouver des pièces pour réparer votre vaisseau tombé en rade. Vous vous déplacez à pied ou en surfant sur de « l’onde », une énergie spéciale qui sert aussi à créer des ponts entre les îlots de la planète. « Source », la planète en question, se présente comme un archipel de petites îles dispersées de curieuse manière. Ces îlots constituent les zones du jeu, entre lesquelles il y a malheureusement un chargement qui casse le trip. Dommage, car la glissade sur « l’onde » offre une sensation de légèreté onirique qu’on aimerait ne pas interrompre, en particulier lorsque les amoureux se rapprochent jusqu’à se tenir la main.

Sur votre chemin, vous croiserez aussi des animaux sauvages, dont certains plus énervés qui vous prendront en grippe. Si vous ne vous échappez pas assez rapidement, c’est le combat qui commence façon JRPG. Durant ces batailles, vous contrôlez vos deux personnages en même temps et vous lancez vos ordres en temps réel : une frappe au corps-à-corps, un rayon à distance ou un bouclier protecteur. En synchronisant les actions de vos deux héros, vous pouvez aussi déclencher une attaque en duo. Cette attaque est plus puissante, mais elle se mérite puisqu’il faudra donner le même ordre simultanément aux deux persos en effectuant une manipulation inverse avec les deux sticks (par exemple, vers la gauche pour Kai et vers la droite pour Yu). Pas évident à maîtriser au départ et d’ailleurs Haven offre une option deux joueurs, chaque manette contrôlant un personnage. Il n’en reste pas moins que Haven est un jeu solo dans l’âme et qu’il vaut mieux savoir se débrouiller seul.

Sans attendre leur tour, les ennemis vous attaquent eux aussi. On peut ainsi vite se faire déborder et s’emmêler les pinceaux. Même si Haven n’est pas du tout difficile, on sera bien content de pouvoir prendre un bonus de santé ou une amélioration offensive de temps en temps. Certains ennemis requièrent aussi la mise en place d’une stratégie spécifique. Par exemple, bloquer l’attaque de l’adversaire avec Yu de manière à étourdir l’ennemi, puis enchaîner rapidement avec un rayon de Kai. Il s’agit donc de garder la cadence durant ces affrontements, et quoi de mieux qu’un bon thème de combat pour ne pas perdre le rythme.

La bande-son de Haven est signée Danger, le nom de scène de l’artiste français Frank Rivoire. Considéré comme l’un des précurseurs de la synthwave – avant l’explosion du genre notamment avec Hotline Miami et le film Drive – Danger arbore un masque inquiétant en concert, qui pourrait laisser penser que sa musique n’est qu’un sombre cauchemar. Il y a de cette noirceur dans ses compositions, mais pas autant que pour certains de ses collègues de la synthwave. Là où Pertubator ou Carpenter Brut noircissent vos oreilles avec ce qui s’assimile parfois à de la musique de film d’horreur, Danger a une palette plus variée et moins dark. C’est cette facette plus ensoleillée qu’il montre dans la BO de Haven, à l’image du morceau d’introduction (à écouter dans la vidéo en fin d’article). On y entend encore du taiko, le tambour japonais typique, qui deviendrait presque la marque de fabrique de l’artiste. Si les sonorités tribales vous rappellent quelque chose, c’est peut-être parce que vous avez joué à Furi et, si c’est le cas, vous vous êtes déjà pris un morceau de Danger en pleine figure avec l’affolant 6:24.

Dans son ensemble, la bande-son de Haven s’apparente à une collection de titres planants et de tubes carrément pop, comme vous pouvez l’entendre dans « 11​:​18 Move It Muffin! » à la fin de ce paragraphe (et oui, tous les titres de Danger comportent une heure). Si vous aimez ce que vous entendez et que vous voulez soutenir ce formidable artiste, vous pouvez précommander la BO du jeu en CD ou vinyle chez G4F Records et bien sûr acheter les albums personnels de Danger. On va s’arrêter là en ce qui concerne la musique de Haven – qui a bien failli faire l’objet d’un article spécifique – en laissant la parole à son auteur : « Si jusqu’à présent je me suis plutôt intéressé à la zone cauchemar dans ma musique, l’OST de Haven a été une possibilité pour moi d’aller explorer d’autres registres plus lumineux de l’enfance. »

On rejoint totalement Danger quand il évoque l’enfance. D’autant plus qu’il parle de l’esthétique du jeu, qui lui « rappelle de vieux dessins animés des années 80, des coproductions franco-japonaises comme Ulysse 31, Les Mystérieuses Cités d’Or » (interview publiée sur Clubic). Haven a clairement un côté enfantin jusque dans ses combats, où il ne s’agit pas de tuer les animaux enragés mais de les « pacifier » pour les rendre inoffensifs, à tel point qu’ils se laisseront caresser ensuite. Haven dégage aussi un parfum de nostalgie qui, on le sait tous à partir d’un certain âge, contribue à embellir nos souvenirs en éliminant les aspects négatifs. C’est justement ce qu’on a envie de faire avec Haven, négliger ses défauts. Ceux-ci sont pourtant bien réels : une ressource pénible à récolter à la longue, un manque de diversité dans les environnements, des signes de budget limité (des intérieurs impossibles à explorer visuellement, par exemple), une certaine redondance vite perçue et la brièveté des cycles (hélas essentiels) jour/nuit et de faim. Soyons honnêtes, ça fait beaucoup… Mais pas assez pour disqualifier totalement Haven, qui parvient à s’accrocher à ses qualités artistiques. La preuve encore avec sa magnifique séquence d’introduction.

Note

12/20

Quand on n'a que l'amour à offrir en partage, on peut vite délaisser le reste. C'est ainsi que Haven manque de passion pour des aspects de jeu qui peuvent paraître triviaux, mais n'en demeurent pas moins importants. En revanche, Haven réussit parfaitement à retranscrire l'amour naissant qui isole littéralement les deux jeunes héros. Notre rôle en tant que spectateur de l'intimité du couple est finalement plus enrichissant que notre pouvoir d'interaction. Enfin, quand on a une superbe BO de Danger dans les oreilles, tout nous semble pardonnable.

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