Généalogie du test

Généalogie du test

En collaboration avec le réseau Ludopresse et le laboratoire de recherche parisien Labex ICCA, l’Université de Liège accueillait un colloque consacré à la presse de jeu vidéo francophone les 27 et 28 janvier 2016. Deux journées pleines de réflexions pertinentes et de commentaires avertis, distillés dans une ambiance décontractée. Parmi les thèmes abordés, deux orateurs présentaient une « généalogie du test ».

Sélim Ammouche, doctorant à l’Université Paris III, entame sa présentation par une boutade : il aurait voulu intituler sa conférence « Fnac VS Les cahiers du cinéma ». Deux articles sont projetés côte à côte : le texte dense des Cahiers et l’essai technique d’un téléviseur avec moult compteurs et histogrammes. Remplacez les indices de luminosité et de contraste par des notes de graphismes et de bande son, ajoutez-y un peu de texte d’opinion : vous avez un test de jeu vidéo !

Le test de jeu vidéo apparaît en 1974 aux États-Unis, dans une revue professionnelle baptisée Play Meter (en référence aux playmates ? Le débat est ouvert dans l’assemblée). Ce magazine réunit des présentations de machines d’arcade et de flippers à l’adresse des professionnels. Entre les publicités, les flyers et les entretiens avec des propriétaires de machines de jeu, quelques « tests » renseignent les futurs acheteurs. À ne pas confondre avec les joueurs qui, eux, se moquent bien de savoir quels réglages techniques maîtriser pour mettre la borne en service, quelle fiabilité espérer du matériel et surtout quelle rentabilité attendre de la borne.

La presse destinée au joueur naît avec la rubrique Arcade Alley du magazine américain Video. Le but consiste désormais à guider le consommateur. En conseillant aux joueurs où mettre leur pièce de 25 cents, les journalistes adoptent pour la première fois un regard critique. C’est le début de la presse indépendante.

À la fin des années 80, deux magazines surgissent des deux côtés de l’Atlantique : Electronic Games aux États-Unis et Computer & Video Games au Royaume-Uni. Ce dernier propose des tests courts et relate des moments de jeu sans procurer une véritable analyse. Electronic Games est plus intéressant. Ses pages renferment des tests plus nombreux et plus longs sans note. Les journalistes analysent les mécanismes de jeu et les mettent en contexte par rapport aux autres titres. Un début d’histoire du jeu vidéo s’écrit, comme l’llustre le test volumineux consacré à un gros titre mis en perspective par rapport à Pong. Les lecteurs du magazine découvrent aussi un guide d’achat des machines, que les rédacteurs conseillent en fonction du profil de joueur. Electronic Games va enfin contribuer à la création de la presse de jeu vidéo française. Les droits de traduction sont en effet acquis pour publier le tout premier magazine français sur le sujet : Tilt.

On en revient à la présentation précédente livrée par Bojan Trajkov, dont le mémoire de fin d’études portait sur la presse spécialisée de jeu vidéo en France. Une façon de traiter l’histoire du jeu vidéo en France [et en Belgique] sans la centrer sur la culture US. Pourtant, quand sort le premier numéro en novembre 1982, Tilt est à moitié une traduction d’Electronic Games. Cette situation hybride durera pendant trois numéros, après quoi Tilt volera de ses propres ailes.

À l’époque, Tilt a une mission de légitimation culturelle du jeu vidéo aux yeux du public francophone. Néanmoins, le magazine adopte une approche technique de la chose. Il soumet ainsi les machines au « banc d’essai », comme un vulgaire lave-linge, et fait subir un « test » aux jeux (désignés alors par leur support : des cassettes, des disquettes). La notion de « test » est utilisée dès le premier numéro pour décrire le contenu de la rubrique appelée étrangement « tubes » (un nom peut-être plus porteur). Ces « tubes » font office de best-of des sorties du moment, les difficultés d’importation rendant l’exhaustivité impossible.

Source : www.abandonware-magazines.org

Source : www.abandonware-magazines.org

Bojan Trajkov nous explique que les premiers tests ont surtout une vocation descriptive : on y énonce les règles du jeu et on présente l’histoire et le déroulement général. Les notes spécifiques ne sont pas reliées au texte et aucune note globale n’est décernée. Les illustrations sont petites et les captures d’écran sont parfois remplacées par des dessins. Les mini-tests ressemblent plutôt à des extensions de la jaquette du jeu, peu informative mais accrocheuse visuellement. On sent aussi les balbutiements des débuts, chaque nouveau jeu constituant souvent une catégorie à lui seul ou rentrant dans des genres flous (jeux de réflexes, etc.).

Puis, les tests de Tilt évoluent vers une réflexion sur le medium, notamment d’un point de vue narratif. Les jeux de plateau sont éjectés du magazine, le jeu vidéo ne partage plus. Les tests sont aussi de plus en plus précis et comparatifs. Tilt commence, par ailleurs, à aborder de « mauvais » jeux. Le test proprement dit se mue progressivement en une chronique, davantage adaptée à une nouvelle forme culturelle en soi.

Retour à la présentation de Sélim Ammouche, qui interroge le terme de « test ». Une particularité française, selon lui, là où les anglophones emploient le mot « review ». Ce « test » refléterait l’application de l’échelle des valeurs à la française, reléguant les jeux vidéo à des programmes informatiques qu’il faudrait « tester » pour en identifier les erreurs.

À partir d’une analyse des tests parus dans les magazines [du siècle passé ?], Sélim Ammouche dégage les critères de notation usuels. Parmi ceux-ci, les graphismes arrivent en tête et se retrouvent dans absolument tous les magazines. Viennent ensuite les sons et bruitages, la jouabilité (seulement troisième !), la durée de vie et l’animation. De manière insolite, des publications spécialisées introduisent des critères plus étranges, comme la psychologie des personnages (pour les RPG) ou la synthèse vocale.

Source : www.abandonware-magazines.org

Source : www.abandonware-magazines.org

Seule, la notation d’un critère spécifique n’a aucune valeur pour évaluer le caractère « bon ou mauvais » d’un jeu. Ces cotations de notions de guide d’achat (toujours en référence à l’essai du téléviseur à la Fnac) semblent devoir s’additionner pour évaluer l’intérêt global d’un jeu… même si les responsables de magazine s’en défendent.

Les années 2000 fourniront un effort de simplification en réduisant le nombre de notes spécifiques. Le test devient critique. Il fonctionne en contexte par rapport aux autres jeux du genre et s’écarte du modèle du test absolu. Néanmoins, comme à ses débuts, le test est toujours soumis à une tension entre la volonté de transmettre un ressenti de jeu et la formule du banc d’essai technique.

Les notes globales ont subsisté jusqu’à présent. Sélim Ammouche en vient d’ailleurs à se demander si un test ne pourrait pas être résumé à ses notes. Et à quoi sert le texte finalement ? Comment légitimer le texte du rédacteur ? Peut-être justement par la volonté de reproduire une expérience. Le lecteur jouerait ainsi par procuration, lui qui lit trop de tests par rapport à son temps de jeu [sur ce je vous laisse, j’ai The Witcher III à finir…].

Source : www.2600connection.com

Source : www.2600connection.com

Réactions

  • Cyborg Jeff le 01/02/2016

    Clairement étant gamin, je lisais les tests pour jouer par procuration ; ) … Un Mega Power coutant 200Fb, je pouvais jouer sur papier à plein de jeux alors que je n’avais même pas de Megadrive à disposition !!!

    Et dans le sens inverse quand j’écris un article sur un jeu, c’est pour donner au lecteur l’envie de se plonger avec moi dans le jeu, comme si nous étions assis ensemble devant l’écran !

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    • Johnny Ofthedead le 01/02/2016

      C’est beau ce que tu dis 🙂

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