Les arts numériques en action

Les arts numériques en action

Qui forme-t-on dans la section « Arts numériques » de l’École supérieure des arts de Saint-Luc Bruxelles ? Des animateurs ? Des programmeurs ? Des créateurs d’univers et scénaristes ? Des concepteurs d’installations numériques ? Un peu tout cela en réalité. Et de cette polyvalence naît une compétence générale qui s’exprime dans le jeu vidéo ou ailleurs.

Le travail de fin d’études est le point culminant de toute formation supérieure. Il convoque souvent l’ensemble des savoirs acquis tout en s’approchant de la pratique professionnelle. Pour les étudiants de cette section « Arts numériques », il consistait à créer une application numérique interactive. L’occasion pour eux d’exploiter les recettes et techniques apprises durant le cursus de trois ans.

Depuis plusieurs années, le Point Culture de Bruxelles expose les travaux réalisés. Le lieu offre un espace où les étudiants peuvent présenter leur produit fini, ainsi que ses plans et esquisses. Lors de ma visite en période de faible affluence (jeudi sur l’heure de midi), tous les projets n’étaient pas accompagnés de leurs auteurs. Voici les quatre applications que leurs créateurs ont eu la gentillesse de me présenter.

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Born Again

À titre accessoire, les étudiants pouvaient créer une bande-annonce – l’art délicat et parfois mesquin du teasing, visant littéralement à « donner envie ». À cet égard, le trailer de Born Again remplit parfaitement son rôle (sans mesquinerie, je vous rassure). Il nous renseigne directement sur l’univers du jeu, ses influences et ses mécaniques. L’univers est industriel, avec des tapis roulants, des pinces automatiques et des robots d’assemblage. L’influence principale est ouvertement Portal – on a vu pire… Les mécaniques sont celles d’un jeu de réflexion, mais avec une belle subtilité.

Le but du jeu est de passer de l’entrée à la sortie d’un niveau dans un décor de chaîne de montage. Pour y parvenir, le joueur s’incarne tout d’abord dans un ustensile et doit se démener pour avancer. Ensuite, il peut habiter les outils et robots avec lesquels il entre en contact. Il change ainsi de corps, de commandes et de perspective. Inventif et très bien vu ! On peut ainsi se matérialiser dans un bras mécanique, par exemple, pour exploiter son extension afin d’atteindre un autre objet à posséder, et ainsi de suite. Les commandes au clavier évoluent à chaque changement, dans un souci délibéré de déconcerter le joueur. Comme s’il renaissait toujours dans un autre corps – « born again » quoi.

La discussion avec l’un des auteurs est passionnante. Il m’explique que le projet a emprunté plusieurs directions durant les dix mois de son développement. Au stade initial, les esquisses adoptent le style de Borderlands, mais les coloris flashy font ressortir tous les éléments au lieu de mettre l’univers entier en avant. Or, le joueur doit appréhender tous les éléments du décor pour choisir celui qu’il désire incarner. La progression non linéaire incite en effet à l’observation. Plusieurs chemins sont possibles ; en y regardant attentivement, on peut même boucler le premier niveau en une seule manipulation.

Les croquis étalés sur la table sont très jolis, le jeu en lui-même a de l’allure et les idées ne manquent pas. Une belle réussite !

Irrsinnig

Irrsinnig

Irrsinnig signifie « aliéné » en allemand. Pas très respectueux pour le jeune héros du jeu, qui en a bien bavé : il était à l’arrière de la voiture quand ses parents ont trouvé la mort dans un accident. Lui s’en sort – si on peut dire – avec un œil crevé et l’autre sévèrement amoché. Cette infirmité un peu glauque va pourtant l’aider, puisqu’il sera ainsi capable d’apercevoir des portails l’emmenant dans une autre réalité. Façon Silent Hill avec une luminosité malade et une musique flippante.

En réalité, notre personnage se trouve dans un hôpital dont il veut s’échapper. On le comprend, faut voir la gueule des infirmières ! Pour se faire la malle, il doit parcourir les salles et les étages de l’hôpital sans se faire remarquer par les femmes en blanc. Il s’agit donc d’un jeu d’infiltration, vu à la troisième personne. Il faut donc éviter d’entrer dans un champ de vision et ne pas faire de bruit en renversant des objets. Heureusement, la réalité alternée permet à notre héros de se planquer et de résoudre les énigmes, parfois à l’aide d’indices.

La variété des situations est très chouette et l’ambiance est excellente. En pleine partie, Irrsinnig me fait beaucoup penser à Master Reboot, un autre (magnifique) jeu d’énigmes-infiltration certes à la première personne. De nouveau, les dessins préparatoires sont exquis et instructifs sur le processus de création.

arts numériques

Shel

Visuellement, Shel est très abouti. L’auteur présent me dévoile son envie de travailler plus tard dans la conception graphique et la création d’univers. Incontestablement, il a de l’avenir dans cette voie. Sans savoir exactement pourquoi, la patte graphique me rappelle celle de Gravity Rush, rien que ça ! Pourtant, les deux jeux n’ont quasiment rien en commun dans le gameplay, à l’exception d’une héroïne légère comme l’air.

Concrètement, Shel se présente dans des niveaux à la Zelda en 3D (pour schématiser) dans lesquels il faut se frayer un chemin. Outre une bonne capacité de saut, l’héroïne profite de l’aide de petits bonshommes lui octroyant certains pouvoirs : créer des ponts de racines (via un joli effet graphique), détruire des obstacles, etc. Dans l’état actuel de développement, Shel comporte trois zones superbement différenciées par des ambiances aux couleurs spécifiques et à la végétation identifiable. Du formidable boulot sur ce plan ! La mise en scène est soignée, elle aussi, grâce à ces petites cinématiques typiques des jeux de plateforme en 3D.

Parmi les trois jeux précités, Shel est le seul qui devrait atteindre les joueurs. Une mise à disposition gratuite sur Internet est d’ores et déjà prévue au terme des opérations de finition. Au contraire, Born Again et Irrsinnig ne devraient pas dépasser le stade du travail de fin d’études. Pourquoi ? Principalement parce que leurs concepteurs ne souhaitent pas forcément travailler dans le domaine du jeu vidéo. Une preuve encore que la formation ouvre à plusieurs métiers.

Ecran noir

Écran noir

Le dernier projet ne concerne pas le jeu vidéo. Il s’agit d’une installation son et lumière, qui simule le handicap de la cécité. Dans une pièce sombre, le visiteur solitaire se fait « agresser » par des bruits associés à des flashs lumineux. Les formes abstraites qui sautent aux yeux du voyant le mettent dans la peau d’un malvoyant. Comment se représente-t-on les sons lorsque sa vision n’a jamais créé une image mentale du brouhaha environnant ?

Le concept a un potentiel énorme et l’envie de le tester ne manque pas. Hélas, l’installation n’a pas pu être montée lors de l’exposition. Néanmoins, sa créatrice et ses deux compagnons ont l’ambition de perfectionner l’œuvre et de la présenter au public. Chacun alors pourra confronter son imagination à la perception des personnes aveugles. Une véritable expérience intime…

Lüxel

Une exposition jouable

Parallèlement aux discussions passionnantes avec les étudiants, ce sont aussi les jeux eux-mêmes qui s’offrent au visiteur. À vous de donner votre sentiment sur ces œuvres riches, manette ou souris en main. Avec une certaine indulgence pour les inévitables bugs, vous découvrirez toute la puissance pure de ces créations estudiantines.

Peu après ma visite, un dispositif Oculus Rift a été installé pour présenter d’autres projets de la même trempe. Une raison de plus de ne pas rater cette exposition encore accessible au public ces vendredi et samedi. On compte sur vous pour nous parler des autres créations !

Les travaux d’Arts numériques de l’ESA – exposition gratuite ouverte au public de 11h à 18h30 au Point Culture, rue Royale n° 145 à Bruxelles, du mercredi 17 au samedi 20 juin.

La page Facebook de l’événement

Réactions

  • De Baerdemaeker le 08/07/2015

    Votre article est particulièrement bien écrit. Du vrai travail journalistique de qualité.

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    • spacecowboy le 09/07/2015

      Merci infiniment pour ce joli message !

      Répondre

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