La Sega Saturn a 20 ans

La Sega Saturn a 20 ans

Saturn. Une planète du système solaire qui serre le cœur des fans de Sega. Son nom, que porte la console 32 bits de la marque japonaise, est synonyme de déclin. C’est en partie à cause d’elle que Sega dévalera une pente impossible à remonter. Mais comme le temps efface les actes regrettables des grands Hommes de l’histoire, ces vingt années ont guéri les rancœurs, et la Saturn a regagné l’estime des retrogamers.

Avant de parler de la Saturn, remontons encore un peu le temps. Époque 16 bits, celle de la « guerre des consoles » entre Nintendo et Sega (cette période est relatée avec une grande verve dans l’ouvrage Console wars de Blake J. Harris). Nos contrées occidentales vivent des années de concurrence entre la Super Nintendo et la Mega Drive, qui donnent lieu à tous les coups bas mais encouragent aussi les équipes à se surpasser. Certains l’appellent même « l’âge d’or » du jeu vidéo.

Avec sa Mega Drive, Sega rivalise avec Nintendo, qui a perdu son monopole acquis avec la NES. Du moins en Europe et aux Etats-Unis, où Sega of America affiche une réussite impressionnante. Au point de faire des jaloux de l’autre côté du monde : les dirigeants japonais digèrent mal que toute la gloire rejaillisse sur leurs collègues occidentaux, dont les compétences sont surtout commerciales. Le Sega japonais veut montrer qui est le patron et imposer sa vision, concrétisée par une machine développée en interne : la Sega Saturn.

SegaCD32X_US

Auparavant, Sega aura misé sur des extensions fugaces à sa Megadrive : le Mega-CD et le 32X. Celles-ci ne déchaînent pas les passions, à cause de leur prix élevé et du support irrégulier des éditeurs et de la maison mère. Il est temps de sortir une véritable nouvelle machine, novatrice et puissante. Sega of America, qui ne dispose pas du savoir-faire technique, se renseigne alors auprès de deux sociétés de grande envergure. Silicon Graphics, tout d’abord, dont les ordinateurs surpuissants font rêver le patron américain de Sega. Ce dernier présente le projet d’une collaboration à ses supérieurs japonais : c’est « non » – ce sera « oui » pour Nintendo et sa Nintendo 64. C’est ensuite avec Sony que Sega of America tente de convoler, mais le Japon refuse d’en entendre parler : c’est « non » – Sony la jouera en solitaire et créera la Playstation.

Rien ne fera changer d’avis les responsables japonais de Sega : la Saturn sort au Japon le 22 novembre 1994. Comme ils en ont l’habitude dans leur propre pays, les constructeurs japonais prévoient peu de jeux de lancement. Le « line-up » comprend toutefois un énorme succès de Sega en arcade : Virtua Fighter. Cette grosse licence suffit à lancer la console au Japon, même si la conversion présente des lacunes graphiques. Emballé, Sega Japon impose une sortie anticipée à Sega of America.

Virtua Fighter 2

Nous sommes au tout premier salon E3 de l’histoire. La conférence Sega est fascinante. On y annonce la sortie de la Sega Saturn… le jour même ! La nouveauté est disponible immédiatement dans une poignée de chaînes de magasins au prix de 399 $. C’est l’effervescence, du jamais vu ! Mais Sony a tout entendu et prépare un coup encore plus fort. La conférence Sony voit monter sur la scène un responsable, dont le discours sera aussi court que magistral : « 299 $ » dit-il et descend du podium sans prononcer un mot de plus. 100 $ de différence ! Comment justifier pareil écart de prix ?

Sega n’y parviendra jamais. Et même quand le prix de sa console diminuera pour s’aligner sur celui de la Playstation, le mal sera fait. Sony aura pris trop d’avance et sera identifié comme le nouveau truc « cool » contre le dinosaure Sega. Les éditeurs tiers se tournent naturellement vers le nouveau champion, d’autant plus que la Saturn traîne une sale réputation : elle serait difficile à programmer. Ses coprocesseurs compliqueraient le développement, ce qui expliquerait aussi la difficulté à l’émuler correctement encore de nos jours (NDLR : notez l’utilisation du conditionnel révélant avec sincérité l’ignorance technique de notre rédacteur). Facilité et succès mieux garanti guident les éditeurs vers la Playstation.

Malgré l’hégémonie de la Playstation et les moqueries de ses adeptes, les possesseurs de Saturn eurent bien des satisfactions avec leur console. Avec un public majoritairement attiré par l’arcade, Sega ravit les amateurs de jeux de course avec l’excellent Sega Rally et, dans une moindre mesure, Daytona USA. Les Virtua Fighter et Virtua Cop feront aussi partie des conversions réussies, conversions qui, rappelons-le, étaient encore des exclusivités à l’époque.

Virtua Cop 2

Virtua Cop 2

Sega Rally Championship

Sega Rally Championship

L’onirique Nights into Dreams confirmera le talent de Yuji Naka, le créateur de Sonic, tandis que Guardian Heroes magnifiera la formule du beat’em all-RPG. La série des Panzer Dragoon offre, quant à elle, le meilleur du rail shooter dans un univers démentiel et garantit une excellente rejouabilité grâce à ses fondements « arcade ». Malheureusement, le premier Panzer Dragoon entérinera une impression tenace : la Saturn ne sait pas gérer correctement la 3D. Une impression que ne démentiront pas les portages de Tomb Raider, Resident Evil ou Wipeout. La Playstation est donc bien la console du futur aux yeux des Occidentaux, et la Saturn n’y résiste pas. Son approvisionnement en jeux s’arrête en 1998 et beaucoup d’acheteurs se disent qu’on ne les y reprendra plus – et s’en souviendront à la sortie de la puissante Dreamcast.

Panzer Dragoon Zwei

Panzer Dragoon Zwei

L’histoire se déroule différemment au Japon, où la Playstation n’a pas écrasé la Saturn. Dans son pays natal, la Saturn a en effet profité de l’engouement pour ses grands RPG, tels que Grandia, Shin Megami Tensei ou Langrisser. Elle a aussi passionné les joueurs japonais « hardcore » avant l’heure avec des genres à la hauteur de leurs exigences pointues : les shoot’em up et les jeux de baston. En Europe et aux Etats-Unis, on se lamentera surtout de l’absence d’un jeu de plateforme Sonic ; une hérésie ludique et commerciale ! Et les derniers défenseurs occidentaux de la Saturn abattront leur dernière carte : l’import.

Plus qu’une coquetterie pour joueurs impatients, l’import s’avérera indispensable sur Saturn. Car la 32 bits de Sega survivra au Japon encore quelques années et y dévoilera ses plus beaux bijoux. En force, les shoot’em up investissent la Saturn comme de vrais envahisseurs de l’espace. Dans ce domaine, la Saturn ne se laisse pas distancer par la Playstation avec les Darius Gaiden, (Do)Donpachi, Gunbird, Thunder Force V et In the Hunt. Mieux, elle se paie quelques exclusivités de salon de grande classe, dont les superbes Batsugun, Battle Garegga et Layer Section. Elle accueille également le portage de Radiant Silvergun, si l’on peut encore parler d’un portage dans son cas, puisqu’il tournait à l’origine sur un système arcade dérivé de la Saturn. Radiant Silvergun reste l’un des titres emblématiques du genre et se monnaie encore aujourd’hui à un prix hélas excessif.

Le pad japonais de la Saturn

Le pad japonais de la Saturn

En termes de jeux de baston 2D, la Saturn connaît aussi une seconde jeunesse au Japon. Citons les Real Bout, Fatal Fury 3, World Heroes Perfect, Samurai Shodown III et IV, X-Men vs Street Fighter ou encore la remarquable version de Street Fighter Alpha 3 (Zero 3 dans son titre japonais) qui surclasse la version PS1. Un avantage qui concorde avec la supériorité de la manette Saturn pour ce type de récréations vidéoludiques. Et là encore, le Japon a les faveurs de Sega. Nous qui avons longtemps connu ce gros pad Saturn à la croix bizarroïde étions bien en peine de nous imaginer les bonheurs générés par le pad Saturn japonais. Plus petit et doté d’une croix ultra souple, la manette à six boutons en façade est le pad idéal pour la plupart des jeux d’arcade et notamment les VS fighting. Mais tout ne nous a pas été refusé en Occident, où nous avons quand même pu profiter d’une belle manette analogique accompagnant Nights. Par ailleurs, la robe noire de la Saturn occidentale lui donne un aspect luxueux, à l’image des Neo Geo AES et CD, peut-être les seules à détrôner la Saturn en 2D en ce temps-là.

La 2D est justement ce que recherchent les retrogamers de nos jours quand ils explorent la gamme Saturn. La mode de la pseudo-2D les pousse à redécouvrir ce qui se faisait de mieux en 2D classique. La 3D perfectible de la Saturn ne plaît plus guère de nos jours, comme celle de la Playstation par ailleurs. Néanmoins, le joueur averti et arrivé sur Saturn en connaissance de cause trouvera encore beaucoup de plaisir à faire des dérapages dans Sega Rally ou à parcourir l’univers « moebiusien » de Panzer Dragoon.

Radiant Silvergun

Radiant Silvergun

[Toutes les images publiées dans le présent article proviennent des sites Sega Retro et Sega Saturn UK]

Réactions

  • LordSuprachris le 22/11/2014

    La Saturn, une console que j’ai découverte très tard (en 2003/2004) mais qui est montée dans le classement de mes consoles favorites à chaque nouvelle découverte d’une perle méconnue de son catalogue, pour être aujourd’hui une de mes préférées 🙂

    Il y a tout un tas de super jeux dessus, tellement que tu en as oublié plus que tu n’en as cité :p
    Baku Baku et ses duels mémorables, Shining Force 3 et ses 3 scénarios complets (un seul dispo en Occident malheureusement), Panzer Dragoon Saga et son univers incroyable, les 2 Clockwork Knight, le tactic-RPG Dragonforce, digne concurrent des Fire Emblem, les survival-horror Enemy Zero et Deep Fear qui n’ont rien à envier à un RE, le Bomberman jouable à dix, et j’en passe.

    Je me permets juste une correction historique : Tomb Raider est d’abord sorti sur Saturn et PC avant d’être porté sur PS1 vu le succès rapide de la console.

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    • spacecowboy le 22/11/2014

      J’ai pas voulu être exhaustif sur les jeux intéressants, précisément parce qu’on aura tout le temps d’en parler plus tard et de faire des liens sur cet article. Au début, j’avais mis une image de Baku Baku… mais je me suis dit que tu en parlerais bien mieux que moi Lord 😉

      Par contre, tu as raison pour Tomb Raider (et je le savais en plus). On va corriger ça rapido.

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  • Mass le 22/11/2014

    Excellent article sur l’une des pièces manquantes de ma collection ! Qu’est-ce que j’ai pu y jouer pourtant à l’époque, en limant les modes endurance de Daytona USA au volant (oui, celui là même avec lequel nous avons tant galéré à la Rétro MIA ^^ ) dès que j’en avais l’occasion en allant chez les potes équipés. Pour paraphraser un certain film culte, un jour elle sera mienne !

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  • Vega le 22/11/2014

    Magnifique article Mr Space! Quelle belle machine! Pour ma part, je ne l’ai jamais eue, simplement parcequ’elle est sortie quelques semaines avant la PS ONE, et qu’à l’époque, je vibrais davantage pour Tekken que pour Virtua Fighter! Sony fait partie des fossoyeurs de cette belle machine… Merci pour le bouillon de souvenirs!

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  • Trunks le 24/11/2014

    Machine que j’ai eue la chance d’avoir à sa sortie alors que j’étais un pro Nintendo. Je n’ai jamais regretté, le peu de jeux que j’avais su m’acheter à l’époque étaient excellents. Mais il fallait reconnaître que le support des éditeurs tiers étaient loin d’être exceptionnel, que sa 3D était limite (l’arrivé de la PS1 avec des jeux comme Ridge Racer, Tekken, Toshinden, Wipeout a fait des ravages à ce niveau) et que Sega faisait toujours autant de choix douteux niveau hardware. Avec le recul et un oeil de « retrogamer », c’est la console à posséder pour avoir des conversions de jeux 2D arcade perfect en versions JAP only malheureusement. Ma Saturn branchée sur un Sony PVM de 21 pouces vous retournera les rétines à coup sur, et Capcom et Snk sont des fournisseurs de rêve sur cette machine.

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  • Retro Games le 14/04/2015

    The Sega Saturn was my first next generation console and I never owned a Playstation 1 until years later.

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