Hotline Miami : l’alibi du masque

Hotline Miami : l’alibi du masque

Au risque de vous décevoir, tous les rédacteurs de Press-Start ne sont pas à la pointe de la technologie. Moi-même, je ne dispose pas d’un équipement informatique dernier cri. Figurez-vous que mon ordinateur n’était pas assez puissant pour faire tourner Hotline Miami. J’ai donc dû attendre un portage PSN pour découvrir ce phénomène du jeu indépendant.

fille Quand je l’ai rencontré, je n’étais plus moi-même. J’avais perdu mes illusions de célébrité dans la coke, une poudre qui s’achète plus facilement que du sucre à Miami. Le producteur de cinéma qui m’avait prise par la main (ou plutôt entre les cuisses) avait sa carte de fidélité bien remplie chez le dealer du coin. Mes narines débordaient de cette merde quand mon sauveur est arrivé.

Le cerveau dans les nuages, j’ai entendu de l’agitation et des coups de feu au rez-de-chaussée de la maison qui me servait de mouroir. Ça m’aurait effrayée en temps normal, mais à ce stade de défonce, je n’ai même pas bougé mon cul d’anorexique du divan. Je n’avais plus peur de rien; l’enfer, je le vivais déjà. Le gros porc de producteur à côté de moi chiait dans son froc et était trop couillon pour bouger sa graisse.

Le bruit est monté d’un étage. Le forcené se rapprochait… Des cris de douleur vite éteints parvenaient jusqu’à mes oreilles. Soudain, la porte s’est ouverte. Ce que j’ai vu alors, je ne peux pas le décrire avec précision. C’était un homme décidé qui portait un masque d’animal, voilà tout ce que je peux en dire. Peut-être est-ce l’effet de la drogue, mais lorsque je me rappelle la scène, je le vois toujours avec le masque d’un animal différent. Quand je l’ai vu éliminer mon tortionnaire, j’ai compris que la mort ne signifiait rien pour lui. J’attendais la mienne avec calme. Je lui ai dit quelques mots pour soulager sa conscience. Il a baissé la garde et m’a prise dans ses bras. J’ai senti sa force et sa violence, je les ai aimées tout de suite.

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Vu que je suis une guerre en retard, je résume vite fait le principe pour les lambins de mon espèce. Hotline Miami est un jeu d’action en 2D représentant des affrontements en vue aérienne. Au début de chaque niveau, le héros écoute un message sur son répondeur qui lui donne les détails de son prochain contrat d’assassinat. Il se rend ensuite en bagnole au lieu indiqué, où il doit trucider tout ce qui bouge. La mission est terminée lorsqu’il est le dernier en vie. Concrètement, il s’agit d’un excellent principe arcade que les développeurs ont pourvu d’une histoire au scénario sophistiqué.

Vu la nervosité de l’action, la grande interrogation concerne la jouabilité de ce portage. Je le répète, je ne connais pas la version PC ni la pertinence du couple clavier et souris. Je ne peux juger que de la maniabilité proposée sur Vita, laquelle doit encore être légèrement différente de celle sur PS3. Hotline Miami exploite les deux sticks de la portable de Sony, l’un pour faire avancer le héros, l’autre pour régler son orientation. L’association est réussie et votre main tombe naturellement sur les deux gâchettes qui servent à ramasser et lancer une arme pour la gauche, et à frapper et tirer pour la droite. Un glissement de doigt sur l’écran permet encore de déplacer l’affichage et de cibler un ennemi en le touchant. Malgré l’échec commercial, Sony prouve encore qu’il a bien conçu sa Vita dans une optique de machine de jeu.

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Grâce à la puissance de l’engin, Hotline Miami ne toussote jamais en pleine action et repart instantanément après une mort. Sur un écran pareil, les graphismes pixellisés avec élégance ressortent aussi joliment dans leur animation délicate. La Vita possède en outre une propriété que l’on utilise peut-être moins naturellement sur un ordinateur : la prise casque. Comme l’écran de chargement vous le conseille, plaquez-vous de bons écouteurs sur les oreilles; il faut bien ça pour écouter la bande son exceptionnelle. Le film Drive est une inspiration générale pour Hotline Miami (le réalisateur Nicolas Winding Refn est même cité au générique), et cela se traduit aussi dans le choix sensationnel des compositions musicales. Puisque la Vita peut aussi servir de baladeur, il est d’ailleurs dommage de ne pas pouvoir écouter ces mélodies magnifiques hors du jeu.

jacket-p Je n’ai jamais entendu le téléphone sonner. Je n’ai pas eu l’occasion de protester ou de demander des explications. On me disait quoi faire sur mon répondeur, et je le faisais, voilà tout. Les menaces m’ont foutu la trouille au début, mais j’ai évacué cette peur lors de mon premier contrat. Je l’ai vomie à côté du crâne béant de ma cible. J’étais quitte de cette frousse pour de bon. Je suis devenu un tueur implacable, sans scrupules. Puis, j’ai rencontré la fille. 

Quand je l’ai recueillie chez moi, elle attendait simplement de crever. Et cela ne devait pas tarder, son corps mince et pâle n’allait bientôt plus supporter ce qu’elle s’envoyait dans le pif et dans les veines. Je ne l’ai pas brusquée; elle s’est remise progressivement comme une plante qu’on avait oublié d’arroser. Sa beauté et sa grâce ont déchiré le voile de la drogue. Je tombais sous son charme. À cet instant, on aurait pu se barrer de Miami ensemble. Si seulement j’avais pu décrocher… Il aurait suffi de ne pas écouter mon répondeur, de ne pas enfiler ce masque et de ne pas démarrer ma bagnole. Mais j’entendais en moi comme une musique de dingue qui me poussait à sortir la nuit. 

La nuit, j’étais quelqu’un d’autre. Le masque d’animal, c’était la bonne idée pour se sentir bestial. Mon esprit humain, je le débranchais pour agir dans la spontanéité. Après mon entrée surprise, je me forçais à ne pas réfléchir pour me concentrer sur ma précision. Mon corps était aussi fragile que celui de mes ennemis!!! et je sentais qu’il pouvait se briser à tout!!! moment. En repensant à mes missions durant mon sommeil, je me voyais mort ici, là et encore là. 

Mon cerveau devait se familiariser avec cette idée de danger permanent. Il y parvenait de mieux en mieux en incluant désormais des avertissements visuels. Des cadavres s’asseyaient à la place des habitués de mon bar préféré, des clients étaient étendus sur le sol du vidéoclub et une brute avait remplacé l’image rassurante du vendeur amical. Je me suis aussi souvent demandé pourquoi le nettoyeur de mon immeuble m’avait regardé en ricanant cette nuit-là. Le mec semblait savoir ce qui m’attendait; ça me dérangeait et je lui aurais bien fait bouffer son sourire si on m’avait laissé faire. Pourtant, je sentais qu’il méritait de clamser plus que les autres. 

La situation a dérapé par la suite!!! et les missions devenaient bordéliques. À la fin de mon avant-dernier contrat, j’ai reçu un appel qui m’a envoyé écraser!!! un petit malin à une centrale téléphonique. Les corps découpés dans les couloirs de l’immeuble!!! me montraient à qui j’avais affaire. C’était la première fois que j’affrontais un autre tueur expérimenté, un motard casqué. Son aplomb était égal au mien et je réchappais de justesse à ses attaques. Ses dernières paroles me perturbent encore. Il ne pouvait pas croire que je l’avais arrêté si près du but, si proche des réponses. Quelles réponses ? À ce stade, je ne me posais pas encore de questions. 

De retour à l’appartement̀, j’ai lu dans les journaux que la police accumulait les pistes et qu’elle recherchait plusieurs tueurs masqués. Cette nouvelle ne m’a pas inquiété, elle m’a presque soulagé!!!. Elle partageait ma responsabilité entre plusieurs criminels, elle la divisait en autant de masques. C’étaient ces animaux qui accomplissaient ces horreurs, pas moi. Je croyais avoir sauvé ma conscience quand mon petit monde a éclaté. L’arrivée des flics lors de ma dernière mission a sonné mon alarme personnelle. Je suis retourné chez moi, bien décidé à tout balancer. Je voulais emmener la fille loin de Miami et de ses palmiers sanguinolents. C’était trop tard. 

J’avais déjà compris en montant l’escalier. Je suis passé par la salle de bains où la fille m’attendait, morte. Ma tête a explosé à cet instant précis, pas lorsque elle a reçu une balle !!! entre les deux yeux. Le réveil dans la chambre d’hôpital fut plus doux que les précédents. Malgré les médocs qui me bousillaient la cervelle!!!, j’avais un objectif clair : me venger. 

La suite n’est plus qu’une succession d’exécutions dégoûtantes, où ma sauvagerie a encore atteint un niveau supérieur. !!!Le sang jaillissait avec une force si grande qu’on aurait dit qu’il était soulagé de quitter le corps de ces ordures. Il n’attendait que ça, s’échapper de la première plaie venue. Je voyais des taches rouges partout et elles ne me perturbaient plus. Mais ce bruit… ce bruit sourd que font les crânes quand on les fracasse sur le plancher… Ma main trembla une fois et me força à répéter ce geste horrible pour achever une fière combattante. Même la folle musique dans ma tête ne couvrait pas ce bruit de merde.

Enfin, ma vengeance n’a plus eu de types à buter, elle avait avalé tout le monde. Elle s’est terminée sur un ton désabusé, à l’opposé de l’extase que je devais ressentir une fois le devoir accompli. Sauf qu’il n’y avait pas de devoir, pas de mobile, pas de récompense. Le sang pour le sang et rien d’autre.

Je repense parfois à ce motard qui semblait chercher un sens à tout cela. Derrière la violence, il ne se cache rien de sensé. Juste une pulsion et un rythme d’enfer.

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En jouant (frénétiquement) à Hotline Miami sur Vita, je me suis demandé si les derniers niveaux n’étaient pas un ajout de cette édition PSN. Il n’en est rien, le jeu est identique à la version originale. Cela montre néanmoins que la conception du titre est bien ancrée dans les codes vidéoludiques, peut-être même au-delà de la volonté des développeurs. J’ai acquiescé de la tête avec respect à la fin de l’aventure, que j’ai directement recommencée pour reconstituer une vision globale de l’histoire. Cette deuxième partie dans la foulée est assez rare dans ma pratique vidéoludique, et il est encore plus rare qu’elle me procure des sensations de jeu aussi bonnes voire meilleures qu’au premier passage.

Réactions

  • Johnny Ofthedead le 23/03/2014

    Le masque de cheval est de loin mon préféré !

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    • spacecowboy le 25/03/2014

      Pareil pour moi, ça va sans dire.

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