Wonder Boy : The Dragon’s Trap – L’ultime transformation

Wonder Boy : The Dragon’s Trap – L’ultime transformation

Issu de la vénérable Master System de Sega, Wonder Boy 3 valait bien un remake. Le studio Lizardcube et l’éditeur DotEmu, français tous les deux, y ont consacré toute leur énergie et leur amour : The Dragon’s Trap fête sa deuxième jeunesse en 2017. Et quelle jeunesse !

Le classique

The Dragon’s Trap est le troisième épisode de la série Wonder Boy. Le troisième, car il est la suite directe de Wonder Boy in Monster Land, considéré comme le deuxième volet. Arrêtons-nous à cette convention chronologique, car l’arbre généalogique de la série a poussé de la manière la plus tortueuse qui soit. Wonder Boy 3, donc, reprend là où Wonder Boy 2 s’arrête : le combat contre le « dragon Meka ». En commençant The Dragon’s Trap, vous revivez ce duel épique, vous le remportez à nouveau et là… bam ! c’est le choc. Une flamme magique vous poursuit et finit par vous lécher le postérieur : la malédiction vous transforme instantanément en dragon vert ! Horreur, votre apparence monstrueuse vous terrifie et plus personne ne vous reconnaît au village. Votre quête consistera à retrouver forme humaine, à redevenir « hu-man ».

The Dragon’s Trap sort sur Master System en 1989. Or, la console 8 bits de Sega a déjà fini son temps au Japon, mise au placard par la Mega Drive. Orphelins de la Master System (ou « Mark 3 » selon son nom d’origine), les Japonais devront patienter jusqu’en 1992 sur Game Gear pour jouer à Dragon’s Trap. Avec le logo Sega du moins, car une autre version du jeu circule toutefois déjà sur une autre machine made in Japan, la PC Engine. En 1991 (et 1990 aux États-Unis), la console de NEC accueille un portage qui, jusqu’au remake tout frais de 2017, constitue la meilleure version du jeu : meilleure qualité visuelle et sonore, fluidité parfaite et option de sauvegarde.

Chez nous en Europe, la Master System reste bien installée en 1989, jusqu’à l’année suivante et l’arrivée de la Mega Drive sur notre continent. Elle vit même sa meilleure période européenne et connaîtra encore quelques belles années. Mais à l’aube des années 90, nul ne peut ignorer le phénomène Zelda sur NES. Si Sega cherche une réponse à Nintendo, c’est Westone qui va lui fournir. Westone, le studio de Ryuichi Nishizawa et son mythique Wonder Boy qui se sent à l’étroit dans son costume arcade.

Après Monster Land et ses petites touches de jeu de rôle, Wonder Boy bascule complètement dans l’action-aventure avec The Dragon’s Trap, voici plus de 25 ans. Le studio Westone réussit là un coup de maître qui restera dans les mémoires. Notre petit héros, fraîchement transformé, traverse des décors exotiques et rencontre régulièrement des obstacles. Bloqué, il doit rebrousser chemin avant d’obtenir la compétence qui lui permettra de poursuivre sa route. En effet, chaque boss du jeu donne lieu à une nouvelle transformation du héros. Par exemple, coincé au fond de l’eau comme une enclume, vous attendrez votre métamorphose en poisson pour nager jusqu’à une plateforme en surface et ouvrir de nouveaux espaces. Vous voyez le genre, on est dans du Metroid ou du « Metroidvania » avant l’heure.

Le château du dragon Meka est certes détruit, mais ça ne signifie pas pour autant que votre monde est libéré. Des ennemis vous attaquent partout et ne vous laissent respirer que dans les rues du village. Ceci dit, leur présence fait l’affaire du commerce local. Pour faire vos courses, vous pouvez récupérer de l’argent sur la dépouille des monstres vaincus. Faites le ménage et offrez-vous le bouclier de vos rêves chez l’armurier du coin. Le caractère RPG ne fait donc plus aucun doute ; il suffit d’appuyer sur le bouton Pause pour révéler les statistiques propres au genre. Plus flagrant encore, certaines zones dangereuses vous seront quasiment inaccessibles sans un équipement performant, et leur boss pourra se limer les ongles en plein combat.

The Dragon’s Trap avait toutes les qualités pour en faire un hit de 1989 : formule action-aventure réussie, maniabilité précise, graphismes et animation de haut niveau, musiques impeccables, mise en scène soignée, etc. Quant à savoir si un excellent jeu de 1989 pouvait tenir la distance en 2017, c’était toute la question. Et manifestement, Lizardcube y avait répondu bien avant nous.

Le remake

Pour faire revivre cette vieille légende, le studio français a opté pour la plus grande fidélité possible. Une fidélité qui s’arrête pile à la limite du tolérable de nos jours. Par exemple, avec seulement deux seuls boutons sur son pad, la Master System imposait une manipulation étrange (bas + bouton 2) pour déclencher une attaque spéciale, alors qu’un bouton y est assigné dans le remake. Plus cocasse encore, on s’est beaucoup moqué de la Master System pour son bouton Pause positionné, non pas sur la manette, mais sur la console même. Quelle joie de devoir se lever chaque fois pour changer d’attaque spéciale… Merci au remake qui permet de basculer entre les attaques d’une simple pression de gâchette. Je ne vous fais pas un dessin concernant la sauvegarde par mot de passe cryptique, remplacée par une sauvegarde automatique – même si les mots de passe d’origine fonctionnent toujours pour le trip nostalgique.

Au-delà de ces modifications d’ordre ergonomique, le remake de 2017 reprend exactement son modèle, avec son déroulement et sa maniabilité d’époque. Et comme par magie, le jeu s’en sort magnifiquement bien. Le héros a certes pris 25 ans dans les pattes, mais il se déplace encore comme un petit jeune. Élevé à l’arcade, Wonder Boy n’est pas un bleu en matière de dynamisme, de précision, de collisions, etc. La solidité de l’action est garante de la réussite du mélange avec l’aventure, réussite insolente en 1989 et transposable telle quelle en 2017 !

On ne va pas lui faire le même compliment sur son apparence… C’est dur pour Wonder Boy III, qui était un très beau jeu en 1989 voire le plus beau de la Master System. Ses sprites étaient énormes en son temps et ses environnements directement reconnaissables à l’aide de quelques repères bien placés. Entre le Zelda 2 de 1987 et lui, l’écart visuel est impressionnant. Hélas, Wonder Boy n’a plus vraiment la classe aujourd’hui et ressemble à une antiquité. Allez hop, séance relooking chez Ben Fiquet !

Formé à l’école des Gobelins à Paris, Ben Fiquet est issu de l’animation traditionnelle. Mais des modèles, il en a aussi dans le jeu vidéo. Il se dit ainsi influencé par le travail de David Perry, le génie du mouvement qui avait révolutionné l’animation dans Aladdin (sur Mega Drive), Earthworm Jim et Cool Spot. Comme David Perry, Ben Fiquet aime beaucoup l’animation dessinée à la main, étape par étape. Or, ce procédé a finalement été peu utilisé dans le jeu vidéo, si bien que les graphismes du Dragon’s Trap de Lizardcube font leur petit effet. Des sprites finement dessinés qui évoluent avec fluidité dans des décors magiques, Wonder Boy n’a jamais eu autant de gueule. Mais après tout, Lizardcube ne vous demande pas de le croire sur parole : appuyez donc sur un bouton pour repasser à la version originale et faites-vous votre opinion. Honnêtement, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas admirer le contraste entre l’apparence de 1989 et celle de 2017. Tiens à ce propos, si vous voulez entendre 25 ans d’évolution sonore, vous pouvez aussi activer les musiques et/ou les bruitages d’origine. Mais sachez que c’est punissable en vertu de la loi du bon goût…

Oui oui, on sait, vous avez encore la musique du village en tête aujourd’hui et cette BO est culte, point barre. Certes, les compositions initiales ont une classe folle, mais un quart de siècle plus tard, on reconnaîtra qu’elles sont répétitives. Ce fut d’ailleurs l’impression de départ de Michael Geyre, quand il accepta ce qui constitue son premier travail dans le jeu vidéo. Progressivement, il finit pourtant par apprécier l’efficacité des morceaux de Shinichi Sakamoto, le compositeur original. Respectueux de l’œuvre, Michael Geyre en a tiré un potentiel insoupçonné. Sa volonté était d’introduire de vrais instruments, des cordes en particulier. Violon, guitare, clarinette et autres subliment les sons synthétiques d’autrefois et produisent une bande-son de folie, qui justifierait presque à elle seule l’achat du remake. Mieux, pour briser la redondance des thèmes, de nouvelles compositions ont été ajoutées (trente morceaux au total) pour offrir un fond sonore à chaque donjon. Vous tomberez littéralement sous le charme en explorant les bonus déblocables, où vous pourrez notamment visionner des séances d’enregistrement par instrument : quel délice !

Les bruitages ont, eux aussi, subi une cure de jouvence. Romain Gauthier les a réinventés en les digérant. Il a ainsi caché les bruitages eighties dans un ensemble plus moderne, plus réaliste aussi. Par exemple, l’animation nettement plus détaillée dans le remake requiert un bruit de pas, dont on pouvait parfaitement se passer 35 ans plus tôt. En revanche, si vous tendez l’oreille, vous reconnaîtrez quelques bruitages « vintage » dissimulés un peu partout. Bref, ici encore, on ressent un profond respect du matériau original et une passion hors norme. Mais d’où vient précisément cette passion ?

Développeur et cofondateur du studio Lizardcube, Omar Cornut n’est pas né de la dernière console new gen. La Master System, il la connaît comme un ami de longue date. Ainsi, il est à l’origine de l’émulateur Meka qui reproduit le fonctionnement de la famille Sega « 8 bits » (Master System, Game Gear, SG-1000, etc.). Dans le cadre de ce projet, il a contribué à « dumper » des cartouches pour les transformer en « roms » exploitables sur son émulateur. Une activité qui l’a amené à amasser une collection très imposante autour de la Master System (on vous laisse chercher des photos sur internet). Par ailleurs, il a aussi lancé le site SMS Power!, un musée communautaire en ligne des machines Sega 8 bits. Véritable référence en la matière, le site regorge d’informations sur ces consoles et ordinateurs qui ont marqué les débuts du Sega domestique. Avec un tel pedigree, Omar Cornut a conçu le projet du remake de Wonder Boy III avec une exigence rare et une admiration authentique. Un travail de passionné, dont le joueur saisit l’intensité à chaque minute de cette formidable aventure.

 

Note

18/20

Allons-y franco, c’est le meilleur remake auquel notre testeur ait joué ! La passion et le savoir-faire s’allient pour rajeunir The Dragon’s Trap de la manière la plus cohérente et la plus flamboyante qui soit. L’occasion rêvée de jouer à ce classique et d’y rejouer encore et encore, pourquoi pas dans une difficulté plus élevée ou sous la forme d’une « Hu-Girl ».

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