She’s in the game – Amandine Flahaut

She’s in the game – Amandine Flahaut

Quand on parle de femmes dans le jeu vidéo, on pense surtout aux joueuses qui se débattent contre les stéréotypes. Mais qu’en est-il de celles qui se situent à d’autres stades du jeu ? Press-Start s’est entretenu avec des femmes qui font le jeu vidéo, le créent, l’étudient ou le détournent.

Amandine Flahaut est graphiste 2D chez Fishing Cactus.

amandine_flahaut-2Bonjour Amandine, pouvez-vous nous décrire votre parcours ?

Mon expérience dans le secteur du jeu vidéo a commencé il y a six ans avec un studio français du nom de 3dduo, pour le projet Leelh. J’y suis restée seulement trois mois, car je ne correspondais pas à leurs critères d’embauche : j’étais soi-disant trop différente de leur public visé. J’ai ensuite travaillé en temps que freelance pour un auto-entrepreneur de Marseille, qui s’est révélé être une arnaque.

C’est grâce à mon compagnon que j’ai pu intégrer le studio Fishing Cactus pour qui je travaille depuis quatre ans et demi. D’abord freelance, j’ai eu la chance d’avoir un CDI par la suite. Je suis actuellement l’artiste 2D de notre premier projet interne Epistory qui est sorti le 30 mars sur Steam.

En tant que graphiste, pensez-vous que l’imagerie du jeu vidéo est généralement trop masculine ?

Oui, l’image dans le jeu vidéo répond malheureusement à des stéréotypes trop masculins. Aussi bien dans la conception que dans la vente, on essaye de satisfaire des joueurs en reléguant les joueuses à une sous-section du jeu vidéo qui leur est réservée et qui est, elle aussi, régie par des idées préconçues. Non, les femmes ne jouent pas seulement à des jeux vidéo où il faut se maquiller, s’occuper d’un enfant ou faire la cuisine, les femmes jouent aussi à des FPS ou des MMO et parfois, elles aiment jouer avec leur compagnon à des jeux multi-joueurs (oui ça existe).

La représentation habituelle des femmes (pulpeuses et sexy) dans le jeu vidéo vous agace-t-elle ?

Cette représentation pulpeuse et sexy est une véritable horreur, elle met à l’écart les femmes normales, majoritaires, afin de répondre à des fantasmes puérils. En tant que femmes, nous avons déjà à subir l’oppression des films et des publicités qui nous disent que nous ne sommes pas assez bien. Si les jeux vidéo s’y mettent, il n’y aura plus aucun média qui nous mettra en valeur pour ce que nous sommes. Le plus souvent, ce sont les tenues dédiées aux personnages féminins qui m’agacent le plus. Les bikinis d’armure lourde qui ne couvrent que 10% du corps, les bottes métalliques à talons pour courir les bois… Même si un jeu vidéo n’a pas besoin de réalisme, un peu de bon sens ne fait pas de mal, un peu de respect de la femme serait appréciable…

Un magnifique travail pour Epistory

Avez-vous déjà eu une idée de jeu ou de design rejetée car trop « féminine » ?

Malheureusement oui. Pas à Fishing Cactus, mais dans mon ancienne boîte. Je n’étais pas écoutée car je suis une femme, la trentaine, vivant en Belgique et faisant du GN et des camps médiévaux. Mon point de vue ne collait pas à la cible qu’ils voulaient atteindre et ce que je proposais était souvent remis en question. C’est l’une des raisons qui ont fait que je n’ai pas été embauchée mais aussi pour lesquelles je ne serais pas restée chez eux. Chez Fishing, on ne me regarde pas de haut parce que je suis une femme. Mes idées sont écoutées si elles sont bonnes ou mises au placard si elle ne le sont pas, c’est de l’équité. Je ne demande pas un traitement de faveur parce que je suis une femme.

La création d’une héroïne est-elle perçue comme un frein à l’identification pour les joueurs masculins ?

Non pas du tout. La plupart de mes amis joueurs jouent des personnages féminins, mon compagnon le fait aussi. Il n’y a pas de problème d’identification, je dirais même que certains l’utilisent comme un avantage pour se faire aider par d’autres joueurs (lorsqu’il s’agit de MMO). Beaucoup de jeux ont un personnage principal féminin et ces jeux ne marchent pas moins pour autant.

Les femmes d’une équipe de développement sont-elles écoutées quand elles soulèvent des problèmes quant à l’image de la femme véhiculée par le jeu ?

Pas toujours… Je dirais même pas souvent. Dans une équipe composée à plus de 70% de membres masculins, on reste démocratique et la majorité l’emporte. Pour les développeurs masculins, ces problèmes existent mais comme il faut « suivre la mode », on reste dans la même boucle, on produit des choses qui relèguent la femme dans le jeu vidéo à un objet sexuel, qui doit plaire, être jolie et douce, gentille et fragile…

Les collègues masculins partent-ils généralement avec un a priori négatif concernant les compétences d’une femme ou sa connaissance du média ?

J’ai déjà eu droit à des remarques comme « retourne à ta place dans la cuisine », « qu’est-ce que tu connais aux JV ? Tu es une fille. » Certains pensent aussi que si on parle trop avec un collègue, c’est parce qu’on couche avec lui. Mais une fois qu’on prouve de quoi on est capable, ces phrases restent mais elles sonnent plus comme de l’humour. Dans ce métier et dans beaucoup d’autres « réservés » à la gent masculine, on doit prouver qu’on est compétente, se battre pour y arriver. Il faut avoir du caractère pour progresser dans la vie et cela vaut pour tout le monde, les femmes s’en rendent juste compte plus tôt.

Illustrations pour le jeu de plateau Piratoons

Les recruteurs recherchent-ils parfois des femmes en priorité et pour quels types de projet ?

Dans mon secteur (le graphisme), il est fréquent qu’on recherche un profil plus féminin. Au même titre que notre écriture, notre dessin est plus rond, notre trait de crayon et notre manière de percevoir les compositions d’images sont différents… On sait reconnaître un dessin de femme d’un dessin d’homme et cela n’a rien à voir avec le sujet.

Attend-on d’elles une démarche particulière ou une vision associée communément à l’esprit féminin ?

Je ne sais pas si on attend quelque chose de différent de nous. Il n’y a pas, pour moi, d’esprit féminin comme il n’y a pas d’esprit masculin. Il n’y a que les stéréotypes véhiculés par une société qui a peur du changement.

Les femmes sont-elles cantonnées dans des rôles spécifiques au sein d’une équipe de développement ?

En tous cas pas chez Fishing Cactus. Il serait d’ailleurs ridicule de cantonner quelqu’un à quelque chose, parce qu’il n’évoluera jamais. C’est valable pour n’importe qui n’importe où.

Les femmes sont-elles incitées à briguer les postes supérieurs ?

Inciter n’est pas le mot que j’utiliserais, car cela indiquerait une volonté de faire changer les choses. En ce qui me concerne, j’ai décidé de prendre la responsabilité de gérer les assignations de l’équipe art de Fishing. C’est une décision que j’ai prise, une organisation que j’ai mise en place, je n’ai pas eu d’aide supplémentaire parce que je suis une femme mais je n’ai pas eu de bâtons dans les roues, ce qui est bien plus important. On ne peut pas obliger une femme à prendre un poste supérieur si elle ne le veut pas mais on ne DOIT pas l’en empêcher si elle le désire. La discrimination positive n’est, selon moi, pas une aide.

Demande-t-on parfois explicitement à une femme de créer un jeu « pour les femmes » ?

epistory_sleeping_foxJe n’ai heureusement jamais eu une telle demande. On m’a demandé de faire du « manga » car je dessine plus facilement du cartoon (ce qui n’a pourtant rien à voir). Il ne devrait pas exister d’appellation « jeu pour femme », c’est limitatif et sexiste. Je ne vois pas pourquoi une femme devrait se contenter d’un certain type de jeux qui lui serait réservé alors qu’il y a une variété de jeux infinis.

Encourage-t-on les femmes à participer à la promotion de leur jeu, notamment lors d’événements publics ?

Notre chargé de comm’ est une femme et c’est elle qui nous représente dans les salons et dans la presse. On m’incite à faire des interviews mais je ne suis pas à l’aise devant la caméra ou au micro. Parler devant des gens me fait paniquer, mais pas parce que je suis une femme, parce que ce n’est pas dans mon caractère. Il est malheureusement trop courant qu’une femme sur un stand de salon ne soit considérée que comme une booth babe. C’est trop limitatif. Heureusement, il y a plus de femmes qui travaillent dans le secteur et ce n’est pas près de s’arrêter.

Merci beaucoup et bonne chance pour la suite de votre carrière !

Créations de personnages pour Child Focus

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