Entretien avec Andreas Lange, le directeur du Computerspielemuseum

Entretien avec Andreas Lange, le directeur du Computerspielemuseum

Lors de ma visite au Computerspielemuseum, j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec son directeur, M. Andreas Lange. L’occasion parfaite pour connaître le fonctionnement du musée, son organisation et ses plans pour le futur.

LS : Quand, comment et pourquoi avez-vous eu l’idée de créer un musée du jeu vidéo ?

AL : Au début de l’année 1996, j’ai été contacté par le Dr. Klaus Spieler, le directeur du Fönderverein für Jugend und Sozialarbeit (Fondation pour la jeunesse et le travail social) pour créer un musée du jeu vidéo à Berlin. Nous voulions ouvrir un musée car c’est une structure « en dur » donnant une valeur culturelle ajoutée à son sujet ainsi qu’une institution vue comme digne de confiance.

LS : Comment avez-vous débuté ? Avez-vous investi votre collection personnelle ?

AL : Non, je n’étais pas un collectionneur avant d’ouvrir le musée, je n’avais donc pas de collection à lui « offrir ». Une fois la structure administrative mise en place, nous avons commencé à faire les brocantes et parcourir les sites Internet pour dénicher un maximum de pièces historiques. C’était au début de l’année 1997.

LS : Comment construisez-vous la collection du musée et combien de pièces compte-t-elle aujourd’hui ?

AL : Principalement par des dons de privés ou de certains acteurs du secteur. Nous ne disposons pas d’un budget important pour l’achat de nouvelles pièces mais quand nous avons vraiment besoin d’un objet en particulier, nous cherchons à l’acheter. Nous disposons aujourd’hui d’environ 30.000 jeux originaux et de plusieurs centaines de consoles en plusieurs exemplaires.

LS : Combien de personnes étaient impliquées au commencement et combien travaillent aujourd’hui pour le musée ?

AL : Au début, nous étions deux, le Dr. Spieler (NdT : Spieler veut dire joueur en allemand, un nom prédestiné) et moi-même. Aujourd’hui, douze personnes travaillent au quotidien pour le musée : direction, marketing, préparation des expos, guichets, entretien, …

LS : Quelles sont les principales difficultés pour mettre en place un tel musée et le garder vivant ?

AL : La principale difficulté est bien sûr d’ordre financier. Nous sommes un musée 100% privé, ce qui fait que nous ne recevons pas de subsides publics et sommes obligés de nous autofinancer ou de compter sur du sponsoring, une chose qui devient de plus en plus rare et difficile à obtenir. En 2015, nous avons accueilli 100.000 visiteurs, un chiffre qui nous permet de compenser tous nos frais annuels.

L’autre grande difficulté est de préserver toute notre collection dans de bonnes conditions et dans la durée. L’espace dont nous disposons n’est pas illimité et les jeux et consoles s’abîment parfois avec le temps. Pour les jeux plus anciens sur cassettes ou disquettes, la détérioration naturelle du support nous pose des problèmes de préservation, que la législation sur la copie ne nous permet pas toujours de résoudre malheureusement. Pour chaque titre, nous sommes dès lors obligés de contacter le propriétaire des droits d’auteur pour lui demander si nous pouvons digitaliser le jeu dans le but de le préserver. S’il refuse ou si nous ne parvenons pas à déterminer qui possède ces droits, nous ne pouvons rien faire pour empêcher le jeu de se détériorer et, à terme, de se perdre.

LS : Comment décidez-vous des sujets des « expositions spéciales » que vous organisez régulièrement ?

AL : Le plus souvent, nous profitons d’une occasion spéciale. Par exemple, au moment des Jeux Olympiques, nous faisons une thématique sur les jeux de JO. Parfois, nous avons le soutien d’un éditeur pour mettre sur pied une exposition thématique sur l’une de ses séries-phare. Ce fut le cas notamment de notre exposition rétrospective Tomb Raider, ouverte pour la sortie du reboot de la franchise et sponsorisée par Square Enix.

Nous avons beaucoup d’idées pour faire d’autres expositions thématiques mais nous manquons cruellement de moyens humains et financiers pour pouvoir toutes les mettre sur pied.

Lara Croft est aussi sexy en statue taille "réelle".

Lara Croft est aussi sexy en statue taille « réelle ».

LS : Êtes-vous en relation avec d’autres musées sur les jeux vidéo ou organisations dédiées à la préservation du patrimoine vidéoludique dans d’autres pays du monde ?

AL : Oui, bien sûr et voir le succès des autres dans d’autres pays est un encouragement pour nous et un argument que nous pouvons faire valoir pour justifier de l’intérêt mondial du jeu vidéo.

LS : Quels sont les plans pour le futur ?

AL : Nous aimerions pouvoir mettre à jour une certaine partie du matériel exposé et encore améliorer la mise en scène du musée. Une expansion du musée est également en projet mais nécessiterait un déménagement.

Concernant nos expositions spéciales, en mai nous organisons une expo dédiée à l’art dans le jeu vidéo et à l’automne, nous présenterons une rétrospective de l’évolution de la réalité virtuelle et des différentes techniques utilisées au fil du temps pour la rendre possible et l’améliorer. Avec la sortie annoncée de différents casques de réalité virtuelle pour les jeux sur PC et consoles, nous pensons que c’est une occasion à saisir.

LS : J’ai vu que les consoles exposées sur le « mur vert » s’arrêtent à la génération PS2/Xbox/Gamecube. Est-ce là que vous situez une limite entre « retrogaming » et « jeux actuels » ?

AL : Non, c’est d’abord une question de place sur le mur. Pour moi, il n’y a pas de distinction à faire entre les jeux dits « retro » et ceux dits « actuels », il n’y a que des jeux vidéo. Le concept de « retrogaming » est quelque chose de « fashion », qui se rapproche de la mode du vintage avec un peu de nostalgie. Mais quand on voit des enfants jouer à Donkey Kong ou Centipede, on ne peut pas vraiment parler de nostalgie, ils retrouvent simplement des sensations proches de celles qu’ils ont avec leurs jeux sur tablettes ou Smartphones.

LS : Comment expliquez-vous que de plus en plus de gens s’intéressent aux anciens jeux vidéo ?

AL : Cet attrait pour les jeux plus anciens s’explique selon moi par différents facteurs. Tout d’abord, pour les trentenaires, il y a bien sûr la nostalgie de l’enfance, pas spécialement pour les bons moments et l’amusement mais surtout parce que c’était, pour la plupart des gens, leur premier contact avec la technologie et les médias. On commence à jouer aux jeux vidéo avant de regarder et comprendre un grand film de cinéma ou un journal télévisé.

Ensuite, il y a ce côté « transparent » dans les anciens jeux que l’on ne retrouve plus forcément aujourd’hui. Au niveau de l’utilisateur, quand il mettait sa cartouche, sa cassette, sa disquette ou son CD dans sa machine, il savait à quoi il allait jouer et que tout se trouvait dans sa main. Maintenant, il faut installer les jeux, configurer son PC pour obtenir les meilleures performances, installer des patches et des mises à jour, ce n’est plus aussi « basique » qu’avant.

À l’époque, les jeux étaient créés par des petites équipes de quelques personnes, parfois même par un individu seul qui se chargeait de tous les aspects du jeu. On savait exactement qui faisait quoi dans un jeu : graphismes, animation, musiques, level-design, gameplay, on pouvait suivre la carrière de plusieurs game-designers de génie ou de graphistes réputés. Aujourd’hui, ce n’est plus forcément le cas, les besoins dictés pour sortir un jeu « AAA » forcent les studios à disposer d’équipes composées parfois de plusieurs centaines de personnes pour créer un jeu, sans que l’utilisateur final, le joueur donc, puisse réellement savoir qui a fait quoi.

LS : Nous sommes arrivés au bout de l’interview. Merci M. Lange pour le temps consacré à répondre à mes questions.

AL : Merci à vous d’être venus jusqu’ici et de vous intéresser au Computerspielemuseum. Salutations à la Belgique.

Réactions

  • spacecowboy le 25/04/2016

    Les moyens publics alloués à la culture étant ce qu’ils sont en Belgique, ce financement 100 % privé serait peut-être une idée viable chez nous aussi. D’une certaine manière, ça rejoint la nature du jeu vidéo, à la fois phénomène culturel et industrie à vocation commerciale.

    Merci pour cet entretien bien intéressant !

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