Sunset : dans l’œil  du cyclone

Sunset : dans l’œil du cyclone

Sunset est le nouveau bébé de Tale of Tales, ce studio belge qui nous a également gratifié de The Path ou de Bientôt l’été. Le jeu est le fruit d’une campagne Kickstarter dont l’objectif a été largement dépassé, puisque le studio a recueilli plus de trois fois la somme demandée : 67 000$ !

 ¡ Viva la Revolución !

21 mai 1972. Cela fait des mois que j’ai quitté les USA, mon pays natal, pour rejoindre San Bavón. Le pays d’Anchuria semblait pouvoir m’ouvrir la porte à de nouvelles opportunités professionnelles. Je suppose qu’il n’en est rien. Malgré ma formation d’ingénieur, le seul boulot que j’ai pu dénicher est celui de femme de ménage. Cinq ans passés sur les bancs de l’école pour… ça ? Mon employeur est Gabriel Ortega. D’après ce que j’ai pu comprendre, il est conservateur de musée ici, à la capitale.

Dans le pays, et en particulier à San Bavón, c’est la panique. Et pour cause : un raz-de-marée politique vient de se produire. Un coup d’Etat a renversé l’ancien gouvernement, et le nouveau président auto-proclamé contrôle la capitale d’une main de fer, assisté par l’armée. Il y a des soldats à chaque coin de rue. Cet empaffé a bien joué son coup…  Mais le peuple ne l’entend pas de cette oreille, et je vois ici et là qu’une résistance est en train de se former pour lutter contre le nouveau dictateur. C’est la guerre civile, et elle rend la vie dure à tout le monde, qu’on le veuille ou non. Je suppose que c’est raté pour l’espoir d’une vie meilleure.

C'est la guerre civile dans la capitale... Les explosions sont quotidiennes, et les rues sont devenues le théâtre des pires tragédies.

C’est la guerre civile dans la capitale… Les explosions sont quotidiennes, et les rues sont devenues le théâtre des pires tragédies.

15 juin 1972. Le contact passe plutôt bien avec M. Ortega. Bizarrement, il tient absolument à ce que je vienne nettoyer chez lui une fois par semaine, une heure avant le coucher du soleil… On dirait qu’il tient absolument à m’éviter. Nous communiquons via des notes éparpillées dans l’appartement. C’est de toute évidence un homme intelligent et très cultivé. A chaque fois que j’entre dans cet appartement, perché dans le dernier étage de ce gratte-ciel, je me sens plus à l’abri… Comme dans un cocon. Un sanctuaire. Ce lieu semble hors de l’espace, hors du temps, si loin de l’absurdité de la guerre.

06 juillet 1972. Je n’y crois pas. Je viens de découvrir des documents confidentiels sur le bureau de Gabriel. Je déteste me mêler de sa vie professionnelle, je sais très bien que cela ne me regarde pas. Mais j’ai découvert une chose horrible : il semblerait qu’il collabore avec le nouveau gouvernement (appelons ça une dictature !) et qu’il livre des armes à l’armée grâce aux impressionnantes ressources dont il dispose… Non, ce n’est pas possible, cela ne lui ressemble pas. Gabriel est un pacifiste et, par-dessus tout, un amoureux de la culture et de la nature humaine. Je ne le vois pas s’engager dans cette lutte politique absurde et contraire à tout ce en quoi il croit. ll doit agir sous la contrainte. Il ne peut en être autrement… C’est impossible… Je dois en savoir plus.

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Une nouvelle façon de raconter

Vous avez compris la mécanique du jeu : à travers les yeux d’Angela Burnes, vous en apprendrez de plus en plus sur Gabriel Ortega, cet homme aussi mystérieux que cultivé. A travers sa liste de corvées, à travers des petites notes disséminées ici et là dans l’appartement, à travers une partie d’échec, un album ou une partition de piano, vous communiquerez avec lui, vous apprendrez à le connaître et vous vous attacherez au personnage…

Peu à peu, une relation de confiance s’instaure entre Gabriel et vous. Par vos actions, par vos notes, par la manière dont vous effectuez vos tâches ménagères, vous influencez un homme qui semble plongé au cœur de la guerre civile. Vos actions, même en tant que femme de ménage, ont bel et bien une influence (bien qu’indirecte) sur l’avenir d’Anchuria.

L’histoire (ou l’Histoire ?) vue à travers les yeux d’une femme de ménage : voici sans aucun doute un nouvel angle, une nouvelle façon de conter ! L’idée est géniale et le pari que s’est fixé Tale of Tales, bien qu’audacieux, est réussi. Le jeu vidéo est un médium fascinant. Il offre des possibilités de narration presque infinies, et cette potentialité s’exprime ici entièrement sous une forme insoupçonnée.

Sunset a l’immense mérite d’aborder des sujets importants de manière illustrative, voire même contemplative. Et le jeu soulève des questions politiques, sociales, presque sociétales. Quel est le rôle de la culture et de l’art dans la société, en particulier en temps de guerre ? Quelles sont nos responsabilités en tant que citoyen ? Comment faire face à la tyrannie ? Quel impact ont nos actions, même les plus futiles, sur la vie des autres ? Au fond, à quoi bon ?

Des sacrifices au nom de l'(H)histoire

Sunset fait donc preuve d’une puissance narrative impressionnante. Néanmoins, on aurait presque envie de dire que l’histoire s’est développée au détriment d’autres éléments comme le gameplay ou les graphismes.

Le gameplay s’avère en effet plutôt pauvre et répétitif. L’histoire nous fait croire que nos décisions dans le jeu ont un vrai impact sur le déroulement de l’histoire. Or, trop souvent, on a la sensation de n’être qu’une caméra, un spectateur impuissant qui certes, effectue des choix et prend des décisions, mais dont l’impact ne se fait pas ressentir directement dans l’histoire, à l’exception de quelques moments plus importants. On est souvent amené à se demander si les choses se seraient déroulées de la même façon si nos choix avaient été différents. Je ne connais pas la réponse à cette question, mais le simple fait de se poser la question est déjà un mauvais signe…

Les graphismes du jeu semblent venir d’un autre âge. La modélisation de l’appartement (pourtant une bien petite zone de jeu !) laisse vraiment à désirer. Les textures sont souvent extrêmement basiques. Les animations d’Angela me rappellent, en exagérant à peine, celles de Little Big Adventure – c’est vous dire ! En ce qui concerne le jeu de lumières, il est assez basique bien qu’il contribue grandement à  l’atmosphère du jeu. La variation des couleurs, souvent très symbolique en fonction de la situation dans l’histoire, est selon moi bien trop marquée et fait preuve d’un manque de subtilité dont l’histoire, paradoxalement, ne manque pas. Gros point négatif donc, dans la mesure où ces graphismes basiques cassent l’immersion dans l’univers du jeu et rompent l’atmosphère dont on devine pourtant les bonnes intentions.

La modélisation et les animations des personnages me rappellent un certain jeu sorti il y a 21 ans

La modélisation et les animations des personnages me rappellent les cinématiques d’un certain jeu sorti il y a 21 ans…

Enfin, point positif, la bande-son est absolument fabuleuse, pour peu que vous soyez amateur de jazz, de musique classique ou de folk hispanique. Voici un élément du jeu géré de manière intradiégétique (c’est-à-dire que c’est vous, dans l’histoire, qui décidez quel vynile jouer et à quel moment), ce qui renforce encore un peu plus l’immersion. De plus, la gestion de la distance à l’aide des bruitages du jeu est plutôt bien réussie. Vous vous retournerez plusieurs fois en croyant avoir entendu un coup de feu ou une explosion toute proche.

Je vous propose de suivre ma progression dans le jeu au travers de ces quatre vidéos. Attention : spoilers !

Note

15/20

Sunset était clairement un pari, et il s'avère pour moi gagnant. Avec ce jeu hors norme, vous découvrirez une nouvelle façon de vivre le jeu vidéo. Au travers d'une histoire passionnante, vous vous surprendrez souvent à vous poser des questions interpellantes ou à philosopher sur la conséquence de vos actes. Les gros points négatifs du jeu sont sans doute son gameplay plutôt pauvre et ses graphismes pour le moins rudimentaires, mais voilà des points pour lesquels on n'attend pas monts et merveilles dans ce type de jeu.

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