Sekiro les yeux bandés

Sekiro les yeux bandés

L’édition 2022 du marathon de speedrun AGDQ a offert une semaine de prouesses époustouflantes, mais l’une d’elles fut particulièrement mémorable : le speedrunner Mitchriz a terminé Sekiro en deux heures… les yeux bandés !

Si vous y avez déjà joué, Sekiro: Shadows Die Twice a certainement rongé vos nerfs à la limite du supportable. Alors il est probable que vous ne puissiez pas avaler le fait que des joueurs soient capables de terminer le dernier FromSoftware sans même voir l’écran. En l’occurrence, ils sont trois dans le monde à avoir réussi cet exploit. L’un d’eux, Mitchriz, l’a fait devant nos yeux à l’AGDQ pendant que l’un des trois autres, LilAggy, commentait la partie. Si on imagine bien l’entraînement nécessaire pour triompher d’un jeu aussi difficile en étant aveuglé, il faut voir les artistes à l’œuvre pour comprendre la façon de procéder.

Mitchriz se tenait devant sa caméra avec un gros bandeau cachant ses yeux et un casque pour l’orienter dans l’obscurité totale. Le début de la partie nous a directement montré le niveau de préparation requis. Forcément, Mitchriz connaît le jeu par cœur, on en peut en dire autant de n’importe quel joueur qui se présente dans un marathon de speedrun de cette ampleur. Il faut cependant reconnaître que la connaissance du jeu et de son environnement atteignait ici un degré inconcevable. Rappelons que Sekiro se déroule dans un monde ouvert en trois dimensions. Aucun couloir à suivre, aucun chemin tout tracé, il n’y a d’autre salut que l’apprentissage méthodique de l’environnement dans ses moindres détails, non seulement sur le sol mais aussi dans les airs à l’aide du grappin du héros.

Devant notre écran, on voyait Mitchriz se déplacer un peu bizarrement, en longeant les murs par exemple, en comptant ses pas, en ajustant sa position par un coup de sabre dans le vide ou encore en allant heurter des repères émettant des sons particuliers. À ce propos, les deux speedrunners présents sur le plateau virtuel nous ont appris que Sekiro est bourré d’indices sonores. Certes, il faut parfois bien tendre l’oreille et surtout savoir ce que l’on veut entendre, mais le jeu semble nous guider de nombreuses façons. Un bruit de métal, le cri d’un ennemi, le grognement d’un monstre ; tout est bon pour orienter les speedrunners de l’extrême. Évidemment, cela ne signifie pas que l’exercice peut devenir une promenade de santé. Plus d’une fois pendant la partie, Mitchriz s’est totalement perdu : un pas de travers et il est impossible de savoir où l’on se trouve dans le noir le plus profond. Dans ce cas, la seule solution est d’abandonner rapidement et de reprendre au point de contrôle précédent. Ça tombe bien, Sekiro présente des checkpoints un peu partout, sans quoi la partie serait un enfer déjà pour un joueur ordinaire mais, on l’imagine, encore bien plus pour un speedrunner aveuglé !

Mais les combats alors ? Des affrontements typiques des jeux FromSoftware, Sekiro en a plein en magasin. Ces combats de boss et de mini-boss qui feraient suer n’importe qui en pleine possession de ses moyens, Mitchriz les a menés sans avoir besoin de regarder ses adversaires ! Comment est-ce possible ? Tout simplement en adoptant la méthode préférée des speedrunners : « casser » le jeu. Si vous n’êtes pas habitué à regarder des speedruns, vous ignorez peut-être qu’un speedrunner joue rarement comme vous et moi. Même sans exploiter de glitches (des failles de programmation), le speedrunner gagne du temps en s’écartant de la méthode que les développeurs du jeu avaient imaginée. Voilà pourquoi on appelle cela « casser le jeu ». Mitchriz l’a encore montré dans la majorité de ses combats. Avec un positionnement parfait (une dinguerie avec les yeux bandés évidemment), il est possible d’attaquer certains boss dans une sorte d’angle mort où on peut le tailler jusqu’à sa mort. D’autres boss peuvent aussi être terrassés en adoptant tout le temps la même esquive encore et encore, en se fichant de l’éventail de techniques que les boss sont censés vous envoyer à la figure.

Enfin, la qualité la plus impressionnante de Mitchriz fut peut-être la persévérance. Le Taureau enflammé — vous vous en souvenez sans doute si vous l’avez croisé — est une vraie plaie quand on parcourt le jeu normalement, et c’est pire bien entendu quand on ne peut même pas voir ses déplacements. Il bouge dans tous les sens de manière désorganisée et il fait un boucan d’enfer : exactement ce qui pose problème quand on ne voit pas sa cible et quand il faut compter sur les sons pour la localiser. Une demi-douzaine de fois au moins, Mitchriz s’est fait martyriser par ce taureau, mourant à plusieurs reprises et abandonnant ainsi un temps précieux sur le chrono. Sans une parfaite maîtrise de ses émotions, il aurait pu s’écrouler en pensant aux milliers de spectateurs qui le regardaient se planter. Et pourtant, il a fini par abattre ce taureau de malheur, avec un petit geste de soulagement mais sans donner l’impression d’avoir douté de sa victoire au bout du compte. Le reste de la partie fut beaucoup plus fluide et cela était prévu aussi, Mitchriz et le commentateur savaient très bien qu’il s’agissait de la phase la plus délicate pour ce speedrun si particulier. Deux heures plus tard, le dernier boss de Sekiro rendait son dernier souffle en on se pinçait pour être certain de ne pas avoir rêvé…

À moins d’un mois de la sortie d’Elden Ring, il est fascinant d’observer à quel point certains se sont rendus maîtres du dernier jeu de FromSoftware. Prodigieux tout simplement.

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