Versus Fighting Story : le manga consacré à l’esport et aux jeux de combat

Versus Fighting Story : le manga consacré à l’esport et aux jeux de combat

Édité par Glénat, Versus Fighting Story est un manga atypique ! Né des efforts combinés du trio Izu, Kalon et Madd, ce manga est entièrement consacré aux jeux de combat et à sa pratique au sein de la scène esport. Nous y suivons les aventures de Maxime Volta, un joueur de Street Fighter V dont la carrière compétitive va complètement basculer après un match de tournoi pris à la légère. La série compte actuellement trois tomes et c’est à l’occasion de la sortie imminente du tome quatre que nous avons pu interviewer Izu, l’un des auteurs de Versus Fighting Story !

Salut Izu, et merci de nous accorder un peu de ton temps. Peux-tu te présenter en quelques mots pour les lecteurs de Press Start ?

Avec plaisir, merci à toi pour cette interview. J’écris des mangas sous le nom de Izu depuis l’époque Omega Complex qui remonte à plus de dix ans, même si je suis scénariste depuis 15 ans. À coté de ça je travaille également dans l’esport, dans la discipline du Versus Fighting où je suis connu sous le nom de Asenka, mon pseudo dans l’esport. J’organise des événements depuis la fin des années 90, ce qui ne nous rajeunit pas. On peut citer récemment le Redbull Kumite ou encore les finales mondiales de Dragon Ball Fighterz (NDLR les 8 et 9 février prochains à Paris).

Tout est lié je vois, et comment t’est venue l’idée de Versus Fighting Story ?

Il y a pas mal d’années, j’étais principalement scénariste et pour le plaisir je m’impliquais dans des associations liées au jeu de combat. C’est marrant parce qu’avec le temps, l’esport a commencé à se professionnaliser et je m’y suis principalement consacré tout en continuant à sortir quelques séries sur le côté. Le rêve depuis toujours, c’était de réunir ces deux métiers, les deux axes sur lesquels je bosse : le versus fighting et ma profession de scénariste.

On retrouve même le Blanka de Tonton dans le manga !

Quand l’esport a commencé à exploser, ce projet est devenu possible car les éditeurs y devinaient tout le potentiel. J’ai donc pu réunir mes passions du manga et du jeu de combat façon shonen sportif comme un Slam Dunk ou un Captain Tsubasa, en réutiliser les codes pour parler du versus fighting en manga.

Au début des années 2000, je travaillais avec le groupe de presse Japan Future Press, qui éditait les magazines Arkadia et Games Fan. On y retrouvait déjà pas mal de noms d’aujourd’hui, comme Florent Gorges notamment. À l’époque, j’adorais un manga édité par Tonkam qui s’appelait Hikaru No Go et qui reprenait justement les codes du shonen sportif pour parler du jeu de Go. Ce qui est justement extraordinaire avec ce manga, voire plus globalement avec l’industrie japonaise, c’est ce talent pour te faire rêver avec n’importe quel sujet à partir du moment où c’était bien raconté avec des personnages attachants. Je ne comprenais rien aux règles du Go – c’est toujours le cas d’ailleurs – et ça ne m’empêchait pas du tout d’apprécier le manga. Je suis sûr qu’ils parviendraient à te rendre génial un manga sur l’élevage d’escargots !

Hikaru No Go

Je faisais également partie d’une asso qui s’appelait Console League. On versait dans le jeu de combat, et l’idée de faire un manga où je pourrais croquer les gens que j’y côtoyais est venue. C’est ainsi qu’est né King of Gamers, à mes tout débuts, et la série était publiée dans Games Fan. Comme on n’avait pas les licences, j’avais dû changer le nom des jeux et quand on a arrêté la publication de Games Fan, je me suis promis d’y revenir quand je pourrai le faire officiellement. Et l’idée est restée.

Des années plus tard, j’avais publié sur Facebook les pages de King of Gamers en commentant que ce serait quand même cool de faire un manga sur le jeu de combat, et une amie du lycée nommée Kalon a directement manifesté son intérêt pour le projet. Comme je bossais avec Capcom, je les ai appelés avec Glénat, mon éditeur, pour négocier les droits. C’est un produit officiel, nous avons la licence Street Fighter, et quand les négociations ont été conclues la machine était lancée. Je ne voulais pas le refaire sans avoir les vrais jeux, les vrais persos, et ça a été possible plus de dix ans après.

Comment Capcom a-t-il accueilli le projet ?

Ils ont été super cool, ils ont tout de suite compris le concept. Si on avait décidé, par exemple, de faire un manga sur Ken, Ryu ou Blanka, ça aurait été beaucoup plus compliqué point de vue licence, mais ils ont directement compris que ce n’était pas notre but. Ce que nous voulons raconter, c’est l’histoire de nos personnages, et ces personnages jouent à des jeux de la licence Street Fighter. Ce n’est pas un manga sur Street Fighter, c’est un manga sur des gens qui jouent à des jeux de combat, qui vivent dans cette culture et y contribuent. Capcom a rapidement cerné l’image positive que le manga allait donner de leurs jeux à eux et de la scène des jeux de combat en général. Ils ont vraiment été au top !

Les personnages de Versus Fighting Story jouent principalement à Street Fighter V, un opus qui divise dans la communauté Street. As-tu choisi cet opus personnellement ou est-ce une « contrainte » de Capcom ?

À un moment il faut rester logique. Quand tu sors un manga, le but premier est quand même d’en vendre. C’est donc tout naturel de parler des jeux qui font l’actualité, d’autant plus que dans Versus Fighting Story ils participent au Capcom Pro Tour, le tournoi officiel d’envergure mondiale. Et le Street le plus joué aujourd’hui, c’est Street Fighter V ! Si tu fais un manga sur Counter Strike, tu ne vas pas l’axer sur la première version du jeu, même pour un manga Smash Bros tu ne vas pas parler de Melee, tes personnages ne joueraient pas exclusivement qu’à ça ! VSF est dans l’actualité, ses protagonistes vont aux vraies étapes du Pro Tour, le Mixup à Lyon, le Stunfest. Ce n’est vraiment pas Capcom qui me l’a imposé.

Et si on en profitait pour bloquer les dates du Stunfest ?

De toute façon, à chaque nouvel épisode de Street depuis le deux, tous les gens du précédent opus vont te dire « mouais c’est pas pareil ». Third Strike, quand il est sorti, personne n’en voulait. Aujourd’hui c’est lui le culte, le seul vrai Street et toutes ces histoires. Quand tu as eu Street IV, en 2008 au Japon en arcade, j’y étais et je peux te dire que tout le monde lui chiait dessus, un truc de fou ! Les gens ont toujours un problème avec le changement, c’est normal, ils ont dosé un Street pendant des années, ils ont des habitudes et des attentes. Du coup la plupart va être déçu par le nouveau jeu. Mais avec les années les Street se bonifient avec le temps : tu prends Street IV, l’ultime version Ultra Street 4 est vraiment géniale, mais il a fallu arriver à cette version. Regarde Street V quand il sort, c’est vrai qu’il y avait trop de problèmes. Mais si tu prends Street Fighter V Champion Edition, il y a beaucoup de persos, certains avec des gameplay super originaux, ils ont pris le temps de le bonifier. En ce moment, je joue Kage, je m’éclate avec ce perso ! Quand j’ai commencé Street V avec Birdie en 2016, j’ai eu un passage à vide mais là je reviens avec les nouveaux persos et je m’amuse comme un fou.

C’est marrant parce que les jeux de combat ont besoin de prendre de la maturité et si ça se trouve, Street V sera apprécié pleinement dans les années à venir. Auraient-ils dû sortir le jeu tel qu’il est avec cette Champion Edition en 2016 ? Sans doute, mais c’est un autre débat.

Le roster actuel de Street Fighter 5

C’est d’autant plus vrai qu’avec l’accès à internet et à des mises à jour, on n’est plus obligé de repasser à la caisse à chaque version comme on a pu le faire sur Super Nintendo.

Oui, paradoxalement il faut être plus patient pour les apprécier. Ou alors tu attends plusieurs années la sortie de la toute dernière version, mais tu passes à côté de tout l’intérêt. Néanmoins, nos personnages ne jouent pas qu’à Street V. Tu as une bonne partie du tome 3 qui se joue sur Third Strike, et dans le tome 4 qui sort bientôt, tout l’album est consacré à Street Fighter 2X et les héros participent à un tournoi de 2X. Tout ça pour dire que Versus Fighting Story, même si nombre de ses enjeux tournent autour de Street Fighter V, n’oublie pas les autres jeux. Bon, évidemment on est sous licence Capcom, on ne va pas faire les tournois sur KOF, mais on part vraiment sur la culture du jeu de combat au sens large du terme, sur les licences Street Fighter au pluriel, pas Street Fighter V. Et si, je dis ça au pif, lors du tome 18 Street Fighter VI sort, c’est logique que le manga basculera sur le nouveau Street : on suivra l’actu.

Et pour suivre l’actu, tes personnages participent au Capcom Pro Tour, avec notamment le Stunfest dans le premier tome. On y retrouve Ken Bogard aka Andy Masters et Mr Quaraté aka Mr Judeau. Leur en as-tu fait la surprise ? Comment ont-ils réagi ?

Andy Masters : vous avez la référence ?

Dans le manga, tu vas retrouver des gens qui sont effectivement croqués sous leurs vrais noms ou sous des pseudonymes ne laissant aucun doute sur leur « identité ». Tous les gens qui sont dans ce cas-là, comme TKO, Quaraté, Ken, Keikunaman (dans le tome 4 – qui est Keikun), sont bien entendu prévenus à l’avance. Je leur demande leur autorisation et ils sont d’accord, personne n’est cité à son insu dans Versus Fighting Story. Mais tu vas retrouver aussi quelques personnages qui sont vaguement inspirés, dont on a changé le nom ou l’apparence mais dont l’idée se retrouve quand même. Tu as un peu des deux mais tu peux être sûr que quand le nom est repris tel quel ou que c’est évident, on a bien évidemment demandé l’autorisation à la personne.

Ce qui m’intéressait était bien sûr de parler des jeux, mais tu ne peux pas le faire sans parler de la communauté, sans citer ces gens-là. Tu as des clins d’oeil à la commu belge aussi, des types qui scandent « ici on est chez nous » dans les tournois c’est typiquement belge, avec un large spectre de références qui sont là pour rendre hommage à cette communauté. De toute façon un manga c’est comme un bouquin, tu parles de ce que tu as vécu. Dans les années 2000, avant le développement d’internet et l’existence de Youtube, tu avais les différentes communautés française, belge, etc. qui voyageaient beaucoup, bien plus qu’aujourd’hui comme tu n’avais pas le online. On allait en Belgique, j’ai fait de ces tournois YOLO de l’espace chez Kenpachi et ce sont vraiment les meilleurs ces moments-là. Les Belges, ce sont d’ailleurs les meilleurs au niveau de l’accueil, y’a pas d’histoire.

Tu avais les Suisses aussi, avec un mec qui s’appelait Jimmy. Ils venaient en France les mecs et il tuaient tout le monde ! Ils étaient invincibles sur Street Zero 3, ils disaient qu’ils allaient s’entraîner au Japon. Nous on était là « wha le Japon, c’est fou » et Jimmy nous racontait qu’il avait un senseï au Japon qui lui mettait 100-0, ça date de 2003 et les mecs en fait ils dosaient avec Tokido et Bas ! Ils mettaient 100-0 au mec qui nous mettait 100-0 ! C’est là que tu te crées tout un imaginaire façon pays des démons dans Hokuto No Ken : tu crois que t’es fort, tu vas là-bas et n’importe quel mec en face c’est un chevalier d’or. Toute cette mythologie complètement fantasmée, tu la retrouves un peu dans Versus Fighting Story, dans la façon dont sont extrapolés les joueurs japonais avec les Empereurs. C’est un peu comme les personnages de Captain Tsubasa qui se font des mythes sur les joueurs brésiliens ou français, ça fait partie des codes du manga et ici tu as un manga qui prend appui sur une forme de réalité fantasmée et extrapolée dans l’écriture des albums.

Street Fighter Zero 3 / Alpha 3

Je trouve justement qu’à la lecture de Versus Fighting Story, on se sent complètement dans l’ambiance de la communauté du Versus Fighting francophone grâce à cette base de réalité fantasmée et à la passion mise dans l’écriture. Le jeu de combat étant souvent perçu comme un vulgaire « button masher » par une importante partie des joueurs, n’as-tu pas peur de perdre des lecteurs au fil des tomes parmi les non-initiés et aux jeux de combat et à la commu du versus francophone ?

C’est une vraie question qu’on s’est posée plusieurs fois pour être sincère. Si tu regardes, dans la série, alors oui ils font des tournois mais tu as aussi une histoire à ces personnages, en dehors des matchs. À la fin de chaque tome, tu retrouves un lexique pour aider les gens à s’y retrouver, un guide du débutant que l’on prend le temps de faire pour que les gens puissent comprendre ce qu’ils ont lu. Maintenant c’est sûr que quelqu’un qui ne joue pas du tout aux jeux vidéo va être perdu, mais avec le jeu de combat il n’y avait pas 36 solutions. Si tu vulgarises tout, tu risques de perdre en chemin les vrais passionnés sans pour autant intéresser ceux qui de toute façon n’auraient même pas eu d’intérêt pour le manga. C’est quasiment impossible de vulgariser le jeu de combat, en comparaison avec le football où même sans connaître les règles précises (hors-jeu, penalty et autres), tout le monde voit en quoi ça consiste. Le jeu de combat est tellement précis que tu ne peux pas le vulgariser. On a donc choisi de respecter la communauté, on est dans un monde où les gens te respectent si tu vas au bout du truc et on a décidé de ne pas faire de compromis.

L’ambiance du manga donne envie de doser !

C’est certain qu’en faisant comme ça tu risques de perdre des gens au passage, mais tu n’es même pas sûr à la base que tu aurais eu ces gens-là. En restant fidèles à nos convictions, les gens que ça intéresse vont vraiment être touchés, pas à moitié, et d’autant plus apprécier. Après dans l’absolu tu peux suivre le manga sans connaitre le jeu de combat, tu as quand même deux mecs qui se tapent dessus avec des gagnants et des perdants, mais tu l’apprécieras d’autant plus si tu y captes toutes les petites subtilités et références. Ça résume tout à fait la difficulté que peut rencontrer ce genre de projets. Alors oui Versus Fighting Story marche plutôt bien, mais il ne va jamais faire des ventes comparables à celles d’un manga de fantasy avec des épées et des dragons.

D’autant plus que contrairement à ces séries de fantasy qui sont quand même bien représentées sur le marché, tu es atypique, l’originalité de Versus Fighting Story lui fait tirer son épingle du jeu.

C’est très juste ce que tu me dis là. Quand le premier tome est sorti, il a plutôt bien marché – notamment en France – parce que pas mal de sites en ont parlé. Pas spécialement la scène manga qui n’a pas trop apprécié, mais aussi bien des sites de jeux vidéo que des médias plus généralistes tels que le Monde et le Figaro en ont parlé parce que c’est le premier manga sur le sujet. C’est comme ça que tu marques ta différence, il vaut mieux s’adresser à un public réduit mais réceptif au sujet plutôt que de chercher à parler à tout le monde sans jamais toucher personne, noyé dans le marché. Ton analyse est très juste. Après c’est sûr que si demain tu sors le meilleur manga de fantasy du monde, tu vendras beaucoup plus, mais c’est bien plus dur de faire le meilleur manga de fantasy que le seul manga qui parle de versus fighting (rires).

Après pour résumer, à un moment je me suis dit que si je parle de ce sujet, je vais y aller à fond. Quand tu crées quelque chose (et c’est vrai pour tout : musique, cinéma, même quand tu organises un tournoi), si tu n’arrêtes pas de te demander ce que voudraient les gens et que tu essaies de plaire à tout le monde, tu n’as aucune chance de faire un truc bien. Je ne dis pas qu’il faut ignorer ce que pensent les gens, mais il y a trop de gens, tu ne peux pas essayer d’avoir les avis de tout le monde. Au final ton oeuvre ne sera jamais cohérente, elle sera toujours à cheval entre tout. Je pense que ce que les gens attendent d’un créateur, ce n’est pas que ce qu’il produise soit bien ou mal, là n’est pas la question, c’est que tu fasses tes choix, tu prennes tes positions et tu sortes ton putain de truc. Au risque de ne pas plaire à certains, mais regarde Yu Suzuki avec Shenmue : le mec il prend un risque d’enfoiré, le jeu fut une catastrophe niveau rentabilité des ventes et c’est pourtant devenu l’un des jeux les plus cultes de l’histoire.

Kojima et son Death Stranding, tu as des gens qui détestent. Même moi je ne suis pas particulièrement fan, mais j’admire que ce soit un auteur qui pose ses couilles et sorte son jeu sans tenir compte de ce que veulent les gens. La mode du Battle Royale ? Non, il fait son truc, c’est génial, c’est hyper respectable. Je pense que son jeu sera, d’ici cinq ou dix ans, ultra méga culte. Un film comme Blade Runner, quand il sort, ce n’est pas un gros succès et regarde : ultra culte. Fight Club pareil, je ne me compare pas avec ces gens-là, je ne dis pas que Versus Fighting fera pareil mais tu ne peux pas reprocher à un auteur qui suit ses convictions de l’avoir fait. Que ça se vende ou pas, au moins il a été jusqu’au bout de sa démarche et je pense que c’est là le travail de chaque auteur.

Tu es parfaitement parvenu à intégrer, licence Capcom aidant, le jeu vidéo tel que nous le connaissons dans la diégèse de ton manga. Une autre oeuvre dégage autant de passion et de respect pour le jeu vidéo au point qu’elle l’a intégré tel quel dans son intrigue, il s’agit de High Score Girl. Comme tu me disais tout à l’heure, là aussi ce sont les vrais jeux, les vraies règles. Ce manga a-t-il été une influence pour toi ?

J’ai adoré High Score Girl mais j’ai découvert ça un peu comme tout le monde quand c’est sorti sur Netflix, deux ans après avoir commencé Versus Fighting Story. On voit que le mec il s’y connait – les bugs de Final Fight, j’ai adoré ces passages. Je me suis même dit en regardant l’animé que 90% des gens qui le regardaient ne devaient pas avoir les références parce que le mec il va loin. On m’avait parlé du manga mais sans plus et Versus Fighting Story existait déjà quand j’ai connu.

Quelle serait pour toi la consécration pour Versus Fighting Story ? Un animé comme pour High Score Girl ?

Il n’y aura jamais de version animée parce qu’elle n’aurait aucun sens. Il y a des adaptations de manga français, comme Radiant, mais ça reste des trucs grand public. Je ne pense pas que Versus Fighting Story puisse exister en animé. C’est trop ancré dans un délire Français, ça reste trop niche. Le manga va sortir aux États-Unis et c’est déjà une belle consécration parce que ça va toucher plus de monde, avec la communauté américaine qui comporte beaucoup de gros joueurs. On se bat pour pouvoir le sortir aussi au Japon ; pas besoin d’une série animée, le simple fait de pouvoir être publié au Japon ce serait mortel quoi. Il y a quand même beaucoup de personnages japonais et le tome 4 va venir clôturer le premier arc, l’arc du Versus Dojo. Le nouvel arc va se dérouler intégralement au Japon, ils vont partir s’y entraîner ; si ce deuxième arc pouvait sortir au Japon ce serait mortel.

Je te propose de parler jeu de combat avant de se quitter, qu’est ce que tu doses pour le moment ?

Carrément, j’ai beaucoup joué à Samurai Shodown l’été dernier. Je suis un grand fan de Samurai et quand tu as le nouveau qui est sorti sur PS4, j’y ai beaucoup joué. Quand je vais au Japon – j’y suis allé pendant deux mois récemment pour le tournage de la série Hard Looters – je suis toujours dans les salles d’arcade. Je squatte 2X et Breakers Revenge quand je le trouve. C’est mon chouchou Breakers ! Je me suis remis à Street V pour tester les nouveaux persos, notamment Kage. Paradoxalement je m’y suis remis pour le boulot mais j’aime beaucoup ce que le jeu est devenu. Les deux V-Skills, les deux V-Triggers, ça apporte beaucoup, c’est un jeu qui se bonifie avec le temps. Les V-Skills apportent de la variété de jeu, des choix stratégiques, ça change complètement la façon de jouer un perso et c’est vraiment intéressant.

Tu connais pas Breakers ? Mais fonce mon gars !

Mais pour être honnête, l’autre jour je voyais sur mon fil d’actualité des mecs qui partageaient leur temps de jeu sur PS4 durant l’année, et sur mon année j’ai moins de 90h à tout casser. Je n’ai pas le temps de jouer beaucoup avec le boulot, mais mon plus gros kiff reste d’aller jouer en salle d’arcade. Quand je suis au Japon, le soir après avoir travaillé toute la journée, aller te poser à la salle et jouer sur borne, rien ne peut égaler ce plaisir. Je dis pas, c’est cool de pouvoir jouer en ligne mais quel que soit le jeu, rien n’égalera le fait de jouer dans une salle avec des gens en face, tu mets ta pièce, c’est tout une ambiance. Plus que le jeu, c’est vraiment l’endroit où tu vas jouer et avec qui tu joues qui fait l’expérience. L’autre soir il y a un pote, Keikun, qui est passé. On voulait sortir un jeu absurde pour rigoler et on a joué à Battle Fantasy sur Mega CD, une sorte de bouse dont tu ne peux pas imaginer à quel point c’est mauvais. Aucune importance, c’est ça qui est génial dans le versus fighting, tu sors une bouse et tu y joues avec deux trois personnes. Tu chipotes un peu et tu t’éclates en fait ! Tu découvres les persos alors que t’as jamais joué au jeu, un tel trouve tel ou tel coup spécial et tu t’amuses.

C’est ça qui est beau et qu’on essaie de dire avec cette série, c’est ça pour moi le versus fighting. Tu as des personnes qui se connaissent et qui se réunissent dans un appart’ ou une salle d’arcade, et ça dose ! C’est une culture particulière. On parle d’esport, mais c’est pas forcément quelque chose que tu peux retrouver partout dans l’esport. C’est vraiment un pan à part.

Surtout qu’à l’échelle esport, le jeu de combat est un peu le « parent pauvre » quand tu regardes les infrastructures que tu peux retrouver pour un League of Legends, alors que paradoxalement et contrairement à ce dernier, un jeu de combat est plus lisible et « diffusable ».

Il y a une explication ultra simple. Prends un FPS, c’est sûr qu’il y a un certain niveau très dur à atteindre avant de monter dans l’esport, mais n’importe quelle personne qui a déjà joué à un jeu vidéo va pouvoir prendre la manette et parvenir à se déplacer et tirer, s’amuser à son niveau. Le nouveau Call of, n’importe quel gamer « de base » en quelques minutes il a compris le jeu, il a assimilé les commandes et c’est parti il s’amuse. Il va se faire dérailler face à de meilleurs joueurs mais il va comprendre pourquoi il s’est fait dérailler. Pour un jeu de combat, on va prendre un exemple comme Dragon Ball Fighterz, tu ne fais rien de la partie ! Le mec en face il te bourre, et la courbe d’apprentissage pour faire quelque chose de décent dans ce genre de jeu est exigeante !

Prenons Street V, sur lequel je suis revenu. J’y ai joué au début en 2016, j’ai joué à plein d’autres jeux de combat, toute ma vie j’ai dosé des jeux. Je connais les combos, je connais la meta du jeu et là je m’y remets, je me fais bourrer online par tout le monde ! Pourtant je me dis que je sais jouer au jeu, mais bien évidemment les mecs en face ils savent mieux jouer, et tu réalises qu’en quatre ans les mecs ils ont appris à jouer au jeu. La barrière d’accès pour prendre du plaisir sur un jeu de combat est très élevée aujourd’hui dans l’esport parce qu’il faut vraiment bien savoir jouer au jeu pour pouvoir l’apprécier, d’où parfois l’intérêt de doser des jeux de merde auxquels personne n’a jamais joué, tout le monde est au même niveau.

Si tu regardes les audiences d’un tournoi League of Legends, comme tu as des millions de joueurs, tu auras fatalement des millions de personnes qui vont regarder. Dans le jeu de combat, tu as moins de joueurs parce que la barrière d’entrée pour s’amuser dans le jeu est beaucoup plus élevée. En dix minutes tu as compris comment jouer à Fortnite et tu t’amuses. Mais si je mets le prochain Guilty Gear Strive à un gars qui n’a jamais joué à un jeu de combat, il ne va pas s’amuser. Limite il va faire n’importe quoi pendant dix minutes, ce sera rigolo, mais ce ne sont pas des jeux où tu peux t’amuser en faisant n’importe quoi. Tu prends vraiment du plaisir dans les jeux de combat quand tu commences à comprendre ce que tu fais et assimiler les mécaniques du jeu. Et pour le commun des joueurs, c’est super compliqué !

On ne s’en rend pas compte parce qu’on est dans la bulle du jeu de combat, mais c’est comme ça. Il y a par contre une autre réalité : au niveau esport on pourrait comparer League of Legends au football, dans le sens où tout le monde connait ne serait-ce que de nom, donc tout le monde regarde. Dans la même idée, les jeux de combat c’est comme la boxe : tout le monde ne pratique pas la boxe mais dès qu’il y a un match légendaire d’annoncé, tout le monde va le regarder. C’est exactement pareil avec l’Evo (NDLR : le plus gros événement versus fighting du monde qui a lieu chaque été à Las Vegas) qui est un des événements esport les plus regardés du monde. Pourtant, tu n’as pas autant de gens qui jouent à des jeux de combat, sauf qu’en termes de spectacle le jeu de combat est beaucoup plus facile d’accès que n’importe quel autre jeu esport. C’est là tout le paradoxe : un jeu hardcore avec une énorme barrière d’accès qui devient casual friendly à regarder.

Pour l’avenir du jeu de combat, ce n’est pas grave si on n’est pas des millions à y jouer tant qu’on arrive à faire vivre la passion et qu’il y ait des millions de gens qui regardent cette passion. On n’est pas si loin derrière les autres branches de l’esport en capacité de diffusion, mais ça ne sert à rien de tenter de convertir des millions de personnes à nos jeux. C’est comme si tu essayais de propulser le MMA au même rang grand public que le football, ça n’a aucun sens ! Mais tu peux par contre organiser du grand spectacle autour du MMA, que tout le monde va vouloir regarder même sans le pratiquer. Le jeu de baston, c’est pareil. C’est ça qui est passionnant, de regarder des mecs savoir bien jouer au jeu.

Merci beaucoup pour ta participation à cette interview, je vais te laisser le mot de la fin. Bonne continuation dans tes projets et que la Douceur te guide !

Ah, la Douceur ! Je devrais citer la Douceur dans ce manga, une allusion à la team qui apparaisse, pourquoi pas Master Camescope. Merci à toi et à bientôt.

La Team Mr Douceur, une team de joueurs de Street qui aiment faire la fête et dont je fais partie qui a du mal à passer inaperçue au Stunfest !

Versus Fighting Story Tome 4 sortira le 19 février prochain aux éditions Glénat.

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