Le phénomène Dark Fantasy

Le phénomène Dark Fantasy

Telle une orange bien juteuse, la fantasy a été pressée jusqu’à en récolter tout le nectar, ne laissant qu’une légère impression d’amertume et la sensation que l’on ne pourrait plus rien en tirer de neuf. Néanmoins, malgré l’avalanche de jeux aux univers tous plus classiques les uns que les autres, il semblerait qu’une branche demeure protégée et utilisée avec parcimonie. La Dark Fantasy sauverait-elle son arbre du désintérêt ?

De Conan à Dark Souls

Loin d’une mièvrerie toute molynesque, la Dark Fantasy est un sous-genre du récit fantastique, délaissant le manichéisme de son ainée pour rendre la distinction entre le bien et le mal plus floue, créer une ambiance oppressante, et remettre en question les actions des protagonistes. Notamment popularisée par Lovecraft et Robert E. Haward – créateur de Conan –, il ne fallut pas longtemps avant que d’habiles développeurs s’en emparent et implantent une bonne dose de noirceur dans leurs titres, à l’image de Diablo ou, plus récemment, Dark Souls, participant à la résurrection des ambiances médiévales glauques au possible.

Ce genre d’atmosphère est propice à développer une profondeur de jeu ou à évoquer le regard que porte le personnage principal sur la vie, sa psychologie. Mais bon, forme ne rime pas toujours avec fond, et si le hack’n’slash de Blizzard arbore des gargouilles et autres tas de cadavres à tous les coins de rue, son scénario et la personnalité des protagonistes tiennent sur un bout de papier toilette, ne se servant de la fantaisie noire que pour concocter un monde fascinant, utilisé par la suite à sa juste valeur dans plusieurs œuvres littéraires estampillées Diablo.

À défaut d’exploiter des atouts scénaristiques que cette branche de la fantaisie peut impliquer, d’autres créateurs en tirent parti pour ce qu’elle évoque, car quoi de mieux pour rappeler une difficulté hors-norme que de confronter le joueur à un décor agressif ? De Bloodborne à Lords of the Fallen, les exemples ne manquent pas. En établissant une ambiance anxiogène et stressante à souhait, le designer nous laisse d’autant moins de répit en nous maintenant en permanence à bout.

witcher2

Les cinématiques de The Witcher 2 sont une parfaite vitrine pour faire parvenir tout le malaise que CDProjekt instille dans son univers

So deep I found oil

Car heureusement, à l’instar d’autres courants comme le Steampunk, la Dark Fantasy ne se limite pas toujours à n’être qu’esthétique. C’est un peu ce frère gothique, rabâchant ses idées noires et vous murmurant en permanence que la fin est pour bientôt, que vos choix de vie sont discutables et vos croque-monsieurs en train de brûler. Un type un peu déprimant, certes, mais qui a le mérite de poser le doigt sur de vrais problèmes et de rappeler que la vie n’est pas toujours simple.

Dans ce domaine, The Witcher est peut-être le plus représentatif. Outre un univers médiéval baignant dans la violence et le racisme ambiant envers les minorités ethniques, les actions de Geralt de Riv, incarné par le joueur, sont perpétuellement remises en question. Fallait-il livrer cette sorcière à la vindicte populaire, en sachant ce qu’elle subirait ? Quelle faction le Sorceleur devrait-il suivre, au risque de sacrifier ses convictions personnelles sur l’autel du devoir ? Cette torture morale d’un homme ne se sentant plus à sa place dans son monde ainsi que son rejet des sentiments humains sont centraux. Des décors au pitch, tout respire la noirceur, là où un Divinity : Dragon Commander suintant les bons sentiments tel un conte enfantin offre un héros lisse et soutenu par les forces du bien, énième élu d’une prophétie typique, dans un cadre non-moins idyllique. Tout mutant qu’il soit, Geralt de Riv semble pourtant bien plus humain.

Fable

Lorsqu’il désire évoquer son histoire, mine de rien assez violente, même l’insouciant Fable revêt ses atours les plus sombres

Il y a de ça dans la Dark Fantasy : une critique habilement déguisée de notre société au travers des yeux d’un personnage désabusé, entre deux univers sanglants et pessimistes mais dépourvus de fond. Et d’objet critiqué, le jeu vidéo devient alors objet critique. Le joueur insouciant de Secret of Mana que l’on était a grandi, a désiré rencontrer la dureté de l’existence d’une autre manière. Exit le courage sans faille, l’altruisme et l’inflexibilité, désormais, il y a un désir d’aventures rythmées par une vie âpre, dans un univers différent. Pour lui, son bonheur est dans la Dark Fantasy.

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