Georges « Jay » Grouard : portrait d’un OVNI journalistique

Georges « Jay » Grouard : portrait d’un OVNI journalistique

Plongé dans le journalisme jeu vidéo dans la fin des années 90, Georges « Jay » Grouard est à la fois ce type au ton acerbe parfois vulgaire, et ce rêveur qui a toujours eu foi en ses idées et son instinct. Retour sur un homme dont la carrière débute sur un heureux hasard.

Georges « Jay » Grouard : Origins

L’aventure commence en juillet 1997. Au beau milieu de ses vacances, désireux de passer le temps, le jeune Georges Grouard décide d’acheter le hors-série de Console News disponible alors. « J’y ai vu une annonce de recrutement. A l’époque, l’idée d’écrire était là, mais je n’avais 16 ans, je me cherchais encore un peu ; Seulement voilà : ma vie faisait qu’il était absolument nécessaire que je travaille. » Après mûre réflexion, il se présente en octobre de la même année chez FJM Communications & Publications, une société d’édition, afin d’offrir sa plume au magazine Gameplay64. « Il m’a fallu pas mal de temps pour me décider, car j’avais trouvé deux autres pistes sérieuses de magazines. J’ai toujours répondu à mes dilemmes par une longue réflexion, mais en suivant mon instinct. » En tant que grand amateur de jeu vidéo et d’écriture, la presse semblait être un choix évident. Plus jeune, Georges dévore des tas de bouquins, mais écrit énormément aussi. Le sourire aux lèvres, il repense à son désir d’enfant de faire des encyclopédies.

Gameplay64Consoles News 18 - Page 001 (Janvier 1998)

Après plusieurs semaines de travail pour Gameplay64 et Consoles News, ses employeurs remarquent rapidement ses grandes ambitions. Aussi lui confient-ils davantage de responsabilités et, de fil en aiguille, il en arrive à assurer le rôle de rédacteur en chef adjoint de Consoles News. À titre officieux, seulement, car Georges est encore mineur et le magazine craint que cela ne soit mal perçu. Suite à cela, il milite pour inclure plus de papiers sur le RPG dans la revue. « Je voulais prouver que ça n’intéressait pas uniquement les Japonais, ça méritait bien plus qu’une demie-page dans un journal consacré aux jeux vidéo en général. » Les patrons craquent. Ni une ni deux, il met en chantier un numéro spécial de Consoles News composé d’un gros dossier et d’une couv’ sur un RPG. Les ventes dépassent les espérances de FJM, l’opération est un succès. Mais pour Georges, il ne s’agit que d’une première étape : sa volonté de proposer un magazine entièrement dédié aux jeux scénarisés (RPGs et Survival-Horror en tête), les seuls trouvant grâce à ses yeux, est déjà là. « J’étais convaincu qu’il y avait un public et qu’un tel projet était une évidence ! ».

À force de détermination, il persuade son employeur de lui laisser sa chance tout en lui assurant que cela n’aurait aucun impact sur ses autres prestations au sein des différentes équipes. Il aura fallu plus d’un an de négociations, mais en Avril 2000, du haut de ses 18 ans, Georges « Jay » Grouard lance Gameplay RPG, présenté à l’origine comme le 21e numéro de Gameplay64, arrivant au bout de sa vie, pour limiter les risques. Hétéroclite, Gameplay RPG ne l’est pas que dans son approche. Jay s’acoquine de son collègue et ami Kyo, recruté quelques mois plus tôt, avec qui il partage la même passion pour le jeu vidéo nippon. Pas de pigiste, pas de coût financier supplémentaire, les deux acolytes sont seuls pour réaliser une revue bimestrielle. « Le risque était extrêmement mesuré. »

Consécration

GAMEPLAY RPG 21 (N°001) 001

Gameplay RPG aura marqué durablement les esprits

Très vite, Gameplay RPG rencontre le succès, poussant le patron à accepter la création d’une équipe dédiée au projet puis de transformer le bimestriel en un mensuel dès le quatrième numéro. Jay dispose désormais de la confiance de l’entreprise et propose deux nouveaux périodiques : Hardcore Gamers et Otaku, sortis dès l’année suivante. « Cette fois encore, on avait bien calculé les risques. Concernant Otaku, j’avais recruté une partie de l’association à l’origine du salon ISC de l’Imaginaire soit des étudiants en commerce ayant le projet fou de créer un énorme salon. Comme on a pas mal bourlingué ensemble, je me suis dit qu’un magazine à la hauteur de cet événement (qui allait devenir Japan Expo) était indispensable ! » Le but ? Offrir une plateforme d’expression à ces spécialistes et expliquer à la France ce qu’était la culture nippone, de loin sa favorite. De par son amour des mangas, bien sûr, mais aussi de l’extraordinaire pouvoir de création de ce pays, quelque chose qu’il retrouve dans le jeu vidéo depuis son enfance, et plus particulièrement dans le RPG. La boucle était bouclée. Otaku est également un succès, devenant alors la seule alternative à AnimeLand.

Hélas, en septembre 2005, l’aventure prend fin. « Le patron avait pété les plombs et m’avait laissé seul maître à bord. J’ai décidé de revaloriser la condition des employés, notamment en changeant le prix des piges. Ça n’a pas vraiment plu au boss, qui est revenu en me rappelant ma place. » Georges attend d’avoir assez d’argent de côté et fait ses bagages. À l’exception de Gameplay RPG, qui perdurera jusqu’en 2008 grâce à un rachat par QI Design, les autres magazines qu’il a lancé disparaitront peu de temps après son départ. FJM, quant à elle, sera dissoute en 2006.

Nouveau départ

background_numero01

Moins léger, plus spécifique, Background ne connaîtra pas le succès de son aîné

À peine touche-t-il le chômage qu’il fonde Phoenix Publishing afin de lancer Background, une nouvelle revue de jeux vidéo mettant l’accent sur le scénario de ceux-ci. Le premier numéro débarque en kiosque dans le chaos en février 2006 pour s’éteindre un an plus tard, en mars 2007.

Encore aujourd’hui, Georges a du mal à repenser à Background, qu’il considère comme un échec personnel. « C’était une erreur. Il était trop qualitatif, donc trop cher à produire. Si j’avais été moins obtus et que j’avais fait une croix sur la couverture vernie et le petit livret en plus, par exemple, sans doute aurait-il tenu. Il aurait dû être pensé moins ambitieux dès le départ. Une fois sorti, c’est perdu d’avance. Mais il était hors de question que je fasse la moindre concession, même pour des questions de survie. J’avais une idée très précise de ce que je voulais. En même temps, si je n’avais pas suivi mes plans, il n’aurait pas été Background, c’est un peu le paradoxe. Ce sont mes décisions qui l’ont tué, mais je les assume. » Usé psychologiquement et financièrement, ce sera son dernier magazine.

Le journaliste parisien s’essayera au web en 2008 en créant Gameweb.fr, de manière bien moins ambitieuse, avant de mettre fin au site quatre ans plus tard, manque de temps. Comme souvent, son avis sur la presse internet est très tranché ; « Internet, c’est de la merde. J’ai tenté l’aventure puis me suis rendu compte du gouffre financier et que vouloir détourner le format de base pour en faire autre chose était une perte de temps. »

S’il n’a plus aucun projet en tête, il œuvre de droite à gauche depuis quelques années. Tantôt invité à signer des articles pour le magazine The Game, tantôt rédigeant un dossier pour un Pix’n’Love. Loin de se limiter, il écrit aussi pour le mook Level Up, de Third Editions, fait office de parrain pour Retro Playing Mag, désormais uniquement présent sur les réseaux sociaux, et participait activement au fameux Portail du Jeu Vidéo aux côtés de l’ancien rédacteur en chef adjoint de Consoles+, jusqu’à l’arrêt du site.

Jay, l’alter ego maléfique

Si la génération précédente se souvient de Georges, c’est notamment grâce à sa plume. Un ton acerbe et un peu vulgaire, des avis tranchés, voilà ce qui fait son succès. « Je suis quelqu’un de secret et réservé. Or, parler de ses passions sous-entend forcément se dévoiler. Ainsi, j’ai conçu un personnage irrévérencieux, vulgaire et violent, une sorte de rock star frustrée qui d’une part, m’empêcherait de trop me dévoiler, et d’autre part trancherait nettement avec les autres magazines, plus consensuels. J’ai toujours eu horreur de la norme. Et puis, l’idée de faire un magazine sur le jeu-de-rôle impliquait forcément que j’en joue un, et Jay est resté. Je l’ai gardé comme une sorte de seconde personnalité, plus qu’un simple pseudo. Un personnage public. »

GAMEPLAY RPG 21 (N°001) 015

Baldur’s Gate II n’échappe pas aux éloges, même dans Gameplay RPG

C’est un peu cette deuxième personne que l’on a l’impression d’entendre lorsqu’on lui demande ce qui fait défaut aux jeux vidéo d’aujourd’hui. Selon lui, ce qu’il leur manque, ce sont des couilles. « De nos jours, le jeu vidéo est – souvent – une redite du passé en moins bien mais en plus beau. Le souci vient d’un manque de créativité ou de conditionnement par les instances marketing et les vieux qui dirigent. Certes, ils ont de l’expérience mais certains ne savent pas se renouveler, se remettre en question. Se reposer sur ses lauriers, ça n’apporte rien de bon à un artiste.

De manière plus générale, je pense que ce phénomène est surtout dû à une professionnalisation de l’industrie. Les gens ont donc moins la foi et cela se ressent. D’un autre côté, le jeu vidéo a tellement évolué que tu ne peux te satisfaire d’une production d’amateur(s) qui, bien souvent, digèrent mal leurs influences. C’est le problème numéro un de la passion et de l’admiration, tu oublies ta propre identité. »

Acerbe, Georges l’est aussi lorsqu’il parle de l’évolution de la presse vidéoludique. Pour lui, la presse a toujours été corrompue. Il se plaint du rapport avec les éditeurs, qu’il juge malsain, mais pas seulement. « Avant tu pouvais vivre de ce journalisme, et personne ne se posait de questions. Maintenant, non seulement tu en chies pour gagner ta vie (les tarifs ont presque été divisés par quatre ou cinq en quinze ans) mais en plus tu dois affronter tous les jours des gens qui montrent du doigt le paradoxe de ta profession ou même de ta situation. Tu es passionné donc tu es acheté. »

Pourtant, la dérive était, à son sens, bien plus puissante à son époque, entretenue par des éditeurs achetant tout et n’importe quoi. « On n’a jamais mangé de ce pain parce que je ne supporte pas la norme, justement, et qu’à mes yeux, les éditeurs étaient davantage les ennemis que les alliés. Cela nous a valu beaucoup de quolibets, des déceptions de la part des membres de mon équipe qui n’étaient pas invités aux voyages de presse et n’avaient pas accès aux mêmes félicités que Consoles +, Joypad ou que sais-je, même si Gameplay RPG vendait autant, voire plus, que les magazines cités. Mais qu’importe, je m’en foutais. J’avais dans l’idée de faire cette couv’ et pas une autre. Ce dossier et pas un autre, je n’avais rien à foutre des répercussions. Gameplay RPG ne vivait pas sur la publicité, cela me plaçait dans un rapport de force favorable. »

Souvent source et cible d’opinions tranchées, on ne peut nier que Georges Grouard, en sortant de l’ombre certains titres délaissés et à grands renforts de coups de pieds dans la fourmilière, fasse avancer l’univers de notre loisir favori.

Réactions

  • Mass le 26/05/2016

    Sans détour, c’est bien grâce à lui qu’aujourd’hui j’écris sur le JV ! 🙂

    Répondre
    • Dottmungeer le 26/05/2016

      Une bonne raison de le détester ! 😀

      Répondre

Laisse un commentaire

* champs obligatoires