Thanksgiving ou la dinde est-elle trop farcie ?

Thanksgiving ou la dinde est-elle trop farcie ?

La période septembre-novembre est à la fois la plus excitante et la plus compliquée pour les joueurs PC/consoles. Les jeux que nous attendions depuis des mois ou des années sortent enfin dans les boutiques et plateformes dématérialisées, mais ils sont souvent accompagnés de nombreux bugs rendant l’expérience désagréable voire injouable. De plus, leur grand nombre met à mal notre porte-monnaie au point que même les étrennes de Tonton et Tata ne suffisent pas.

Alors pourquoi les éditeurs se précipitent sur cette période de l’année, quitte à sortir un produit sans finition qui fera un bad buzz sur Youtube à cause de ses nombreux bugs ?

Le jour le plus noir…de monde

La réponse pourrait être évidente : parce que Noël, parce que cadeaux, bla bla bla. C’est sûr, mais la vérité est un chouïa plus compliquée. Pour les plus américanophiles d’entre vous (ou ceux qui ont lu le titre de l’article) vous n’êtes pas sans savoir que le quatrième jeudi de novembre est le théâtre d’une des fêtes les plus emblématiques de la culture américaine : Thanksgiving. Pas de panique ! Je ne vais pas m’étendre sur les origines de cette fête, sa symbolique, l’esprit des colons etc, car ce qui nous intéresse, c’est le jour suivant cette fête : le Black Friday.

Généralement, c’est le lendemain de la dégustation de la dinde que les Américains achètent leurs cadeaux pour Noël et les magasins en profitent pour proposer des affaires défiant toute concurrence, parfois pendant tout le week-end, jusqu’au Cyber Monday où les dernières affaires se font en ligne.

*Insérer la Chevauchée des Walkyries de Wagner*

*Insérer la Chevauchée des Walkyries de Wagner*

Ce n’est pas exactement des soldes comme en Europe mais plus un week-end d’achat en vue d’un événement important ; d’ailleurs la formule commence à s’exporter chez nous et certains pays ont leur propre version locale durant la même période (voir le week-end du Buen Fin au Mexique à peine une semaine avant le Black Friday américain).

Ah et j’oubliais, le secteur nord-américain est l’un des plus gros, pour ne pas dire le plus gros marché de jeux vidéo consoles.

Maintenant que vous avez le contexte, imaginez-vous à la place d’un éditeur. Vous faites des jeux, c’est génial en soi mais vous devez les vendre pour espérer continuer et l’être humain étant une bête pleine de surprises, il est parfois dur même pour les meilleurs analystes de savoir quand exactement un produit se vendra. Sauf que l’on vous dit qu’il y a un jour dans l’année où une large partie de la population va acheter plein de choses différentes. Jackpot !

La suite n’est qu’hypothèse de ma part mais ne doit pas être loin de la réalité. En sortant son blockbuster quelques semaines avant le Black Friday, l’éditeur a le temps de faire remarquer son jeu que ce soit par une campagne marketing monumentale (pas de chiffre précis mais certaines rumeurs veulent que le budget marketing d’un AAA dépasse parfois le double de celui de développement) ou tout simplement par du bouche à oreille en passant par les médias sociaux ou plateforme de partage comme Twitch ou Youtube. L’objectif étant que le jour J, les gens se précipitent sur VOTRE jeu.

The final countdown

Mais pour vendre un jeu, il faut l’avoir créé, et tout à coup le studio de développement se voit mettre une pression de tous les diables.

Même avec un planning aux petits oignons, des surprises peuvent toujours arriver durant un développement : un bug bloquant de dernière minute, une mécanique de jeu moins fun que prévu, un objet mal modélisé, … Des problèmes courants qui peuvent déjà donner des cheveux blancs en temps normal mais comme le temps joue contre le studio, les solutions adoptées sont souvent radicales : suppression de contenu, moins d’attention envers les bug mineurs, report de certains modes de jeux, etc.

On pourrait penser qu’avec d’aussi gros gains à la clé, la solution serait tout simplement d’embaucher plus de développeurs. Mais en dehors du fait d’essayer de convaincre les financiers d’augmenter le budget de développement (ce qui est rarement une mince affaire), embaucher un nouvel employé demande toujours un temps d’adaptation plus ou moins long pour lui faire assimiler les processus propres au studio ou les spécificités du projet par exemple. Or ici, le temps est un luxe qu’on ne peut se permettre. 

Certains éditeurs tentent de trouver des parades. On pourrait citer Ubisoft qui n’hésite pas à mettre les ressources de plus de 5 studios différents pour pouvoir sortir à temps son Assassin’s Creed annuel avec tout le contenu promis. Cependant, coordonner les 5 studios sur un même projet, même en leur assignant des tâches différentes (on pensera au studio d’Annecy spécialisé dans les modes multijoueurs des jeux de la firme), équivaut un peu à traverser une autoroute à l’heure de pointe et sans radar. 

Les credits d'Assassin's Creed ou comment faire plus long qu'un film Marvel.

Les credits d’Assassin’s Creed ou comment faire plus long qu’un film Marvel.

La Folie des grandeurs

Même si le développeur réussit à terminer le jeu sans trop de casse, il reste une dernière épreuve à affronter : la surcharge de sorties à cette période. Maintenant que tout est prêt, il faut savoir tirer son épingle du jeu pour que le chaland préfére notre belle boîte à celle du concurrent. Mais certains jeux l’ont plus facile que d’autres : si un Call of Duty ou Battlefront va bénéficier d’un budget de pub colossal pour se faire remarquer, d’autres jeux deviennent de véritables oubliés.

Que ce soient des jeux basés sur des licences de dessin animé ou encore des jeux de fitness, beaucoup d’entre eux vont être automatiquement mis dans la même période de sortie sans pour autant bénéficier du même soutien médiatique.

L’éditeur ne fait que parier sur le fait que le grand public non core gamer va s’intéresser à ces autres produits car ils leur correspondraient mieux ou représentent des choix faciles de cadeaux sur la base d’une marque connue (dans le cas des films ou dessins animés par exemple). Mais parfois cela peut toucher des productions AAA qui n’arrivent pas à supplanter la communication de leur concurrent.

Si les communiqués étaient nombreux durant le développement, la sortie du dernier Tomb Raider c'est fait en quasi catimini.

Si les communiqués étaient nombreux durant le développement, la sortie du dernier Tomb Raider s’est faite quasiment en catimini.

Bon appétit !

La période de Noël est celle où on prend tous quelques kilos et le marché du jeu vidéo n’échappe pas à la régle. Sauf qu’ici on frôle l’indigestion. Trop de jeux présents en même temps car tout le monde veut la plus grosse part du gâteau, des jeux avec une finition parfois douteuse due à des pressions de temps énormes et un budget de communication qui peut décider de la vie ou de la mort du futur chiffre d’affaires.

Heureusement, toute la stratégie de l’éditeur ne se base pas sur cette période et une fois la dinde digérée, on remarque une parution plus étendue de certains blockbusters jusque juin environ. Cependant la présence massive de produits à Thanksgiving reste un passage obligé pour tout éditeur qui veut gonfler son chiffre annuel.

Et si notre porte-monnaie de core gamer crie famine juste avant le début des fêtes, on se consolera en passant des soirées sous une couette à explorer le Wasteland sous les yeux ébahis de son petit neveu ou à combattre l’Empire galactique avec sa cousine. Car ce ne sont pas quelques bugs qui gâcheront le plaisir de partager sa passion en famille durant les fêtes.

En attendant, créez bien, jouez bien et surtout portez-vous bien.

Et Joyeuses Fêtes ! 🙂

Réactions

  • Johnny Ofthedead le 30/11/2015

    Excellent article !

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