Le lien narration – media ou la fin de Life is Strange est-elle adaptée ?

Le lien narration – media ou la fin de Life is Strange est-elle adaptée ?

Bonjour à tous. Il faut que je vous avoue quelque chose pour commencer, je hais la fin de Life is Strange.

Pour ceux du fond qui restent sur Minecraft, Life is Strange est un jeu d’aventure / narration vous mettant dans la peau de Max, jeune lycéenne américaine qui est retournée dans sa ville natale pour étudier la photographie. Elle assiste par hasard à un meurtre qu’elle va pouvoir éviter en découvrant par la même occasion qu’elle a le pouvoir de remonter le temps. Cerise sur le gâteau, la personne sauvée n’est autre que Chloé, son ancienne amie d’enfance. Mais aux joies des retrouvailles s’accompagnent le mystère d’une disparition et une météo qui a décidé de faire passer l’apocalypse pour une pluie d’été.

Je préfère préciser les choses tout de suite, je ne pense pas que Life is Strange soit un mauvais jeu : que ce soit sa direction artistique, sa prise en main, sa technique ou son gameplay tout me semble aller du passable au très bon. Alors pourquoi à la fin du jeu j’ai ressenti de la frustration et l’impression qu’on m’avait volé tout le plaisir de jeu que j’ai eu sur les autres épisodes ?

ATTENTION: Cet article contient de nombreuses révélations de Life is Strange épisode 5 ainsi que de Limbo et Braid.

The Darkgame

Il suffit de lire les titres des reviews et tests pour se rendre compte d’une chose : L’épisode 5 est sombre voire glauque, beaucoup plus que tous les autres épisodes réunis. Vu la fin de l’épisode 4 (et la preview du 5) on ne s’attendait pas non plus au monde des Petits Poney mais il faut avouer qu’avec sa torture psychologique quasi permanente, nos nerfs ont plus l’impression d’être confrontés à une ambiance de survival horror qu’à ceux de films indés américains des précédents épisodes.

Autant cela est bien amené dans la première partie de l’épisode où malgré tous vos efforts vous revenez irrémédiablement à votre position de victime impuissante dans la Dark Room (salle de photos/torture), c’est une autre paire de manches pour la partie du cauchemar de Max.

Pendant une heure, le jeu vous fait vivre ses délires qui réimaginent plusieurs scènes du jeu d’un point de vue où elle est forcément coupable ou sans possibilité d’agir. D’ailleurs l’une des scènes qui m’a le plus marqué est celle où, encore attachée à la chaise de la Dark Room, plusieurs versions de Chloé et d’autres personnages viennent hanter Max, critiquant certains choix du joueur ou leur donnant un résultat négatif.

Comment rendre un cauchemars plus fou ? Ajouté des écureuils géants pardi !

Comment rendre un cauchemar plus fou ? Ajoutez des écureuils géants, pardi !

Ceci, ajouté à quelques scènes qui mettront ce qui vous reste de sensibilité au niveau critique (cf. l’obligation de tuer au moins une fois un personnage secondaire, et ce quelle que soit votre intention finale à son sujet), il ne vaut mieux pas y jouer après une journée difficile au travail ou une dispute avec un être cher… Ou alors prévoyez les pilules roses pas trop loin.

La mort ou Tchéché

Cependant ce n’est que le terreau de la dernière épreuve qui vous attend : le dernier choix du jeu.

Contexte : Vous apprenez que vous êtes responsable de la tornade qui détruit la ville du jeu, Arcadia Bay, pour la simple raison que vous avez empêché la mort de Chloé.

En ayant manipulé le temps et la « destinée » d’une personne, vous avez déclenché tous les événements malheureux de cette ville que ce soit au niveau macro (la météo apocalyptique) ou micro (toutes les nouvelles victimes de Jefferson, le serial killer du coin).

Et c’est ici qu’on touche au cœur du problème : En tant que joueur vous pouvez penser que vous n’auriez jamais dû contrôler Max, son pouvoir et ses choix. Qu’en ayant aidé l’héroïne, c’est vous, le joueur qui êtes responsable des malheurs de cette ville.

Heureusement tout les choix du jeu ne sont pas aussi dramatique...Par contre j'ai faim maintenant.

Heureusement, tous les choix du jeu ne sont pas aussi dramatiques…Par contre j’ai faim maintenant.

Mais bon ce n’est qu’un jeu, il y a sûrement encore une solution pour une happy ending, non ?

… Que vous êtes mignon.

Suite à cette révélation, le jeu ne vous laisse que deux options : sacrifier Chloé pour sauver Arcadia Bay et ses habitants ou l’inverse. Et même si vous pensez avoir pris la « bonne » décision, la cinématique de fin montrera à plusieurs reprises la tristesse ou les remords de Max dans une tentative un peu maladroite de vous pousser à rejouer l’aventure en faisant l’autre choix. Cependant le sentiment de culpabilité est déjà là.

Si on résume, le jeu vous tient indirectement pour responsable de toutes les catastrophes parce que vous avez aidé l’héroïne et en plus, vous propose un choix injuste en guise de punition finale.

Vous la sentez venir la frustration là ?

Life is a Bit**

Passées les quelques heures de mélancolie profonde et l’envie brutale de mettre une claque au directeur créatif du jeu, ma raison finit par reprendre le dessus et une question se pose à moi : Pourquoi ?

Pourquoi avoir choisi de faire payer Max et par extension le joueur pour ses actions ?

L’une des raisons les plus évidentes est celle de la recherche d’originalité en transformant la fin du jeu, qui traditionnellement est une fin valorisante pour le joueur, en quelque chose de plus nuancé. Sans compter que d’autres médias l’ont déjà fait. Qui n’a jamais entendu parler d’un livre policier où le narrateur se trouve être le meurtrier à la fin ? D’un film où le personnage principal meurt en plein milieu de l’intrigue ? D’une pièce de théâtre (ou série) qui punit sans raison d’une manière ou d’une autre vos personnages préférés ?

Tiens donc Mr.Shakespear ! Quand on parle du loup...

Tiens donc, Mr. Shakespeare ! Quand on parle du loup…

La littérature, l’art et tout autre média visuel regorgent de tels twists sans pour autant provoquer de sentiment négatif une fois arrivé au bout de l’histoire.

La raison à cela est double :

  • Certaines situations font office de catharsis, c’est-à-dire de défouloir pour toutes les pensées négatives que vous pouvez renflouer durant votre vie. Ces situations peuvent avoir une nature positive (le gentil bat le méchant, youpie !) ou négative (mon perso préféré vient de perdre une main… ma vie n’est pas si mal en fait) mais en ayant toujours une contrepartie positive pour le spectateur.
  • L’identification à un personnage a ses limites. Les médias que j’ai cités sont de consommation passive, le spectateur observe ce que l’auteur veut exprimer et est libre de forger son propre lien avec l’œuvre. Donc même si la scène d’exposition d’une œuvre facilitera toujours l’identification et l’attachement à un personnage, le spectateur est bien conscient que les actions et choix de ce dernier sont hors de son contrôle, ce qui lui permet de prendre du recul quand ce même personnage fait quelque chose qui déplait au spectateur. Certains auteurs n’hésitent pas à user de ce procédé pour provoquer de la réflexion chez le spectateur (mais comment j’ai pu apprécier ce */&ç$ !!!).

Le souci avec les jeux vidéo est que tous les choix et actions du personnage sont l’œuvre du joueur qui peut soit les contrôler totalement (à la manière d’un Skyrim par exemple) ou juste permettre leur accomplissement (aider Mario à sauver la princesse), mais dans les deux cas ils sont liés émotionnellement à ces actions.

Et pourtant quand on regarde l’histoire du jeu vidéo, Life is Strange n’est pas le premier à prendre en traître les intentions du joueur.

Gare au gorille

Limbo par exemple, jeu de plateforme sombre et torturé qui pourtant paraît trouver une fin heureuse lorsque vous retrouvez une personne qui semble vous être cher… Jusqu’à votre retour à l’écran titre où une simple observation permet de voir ce qui ressemble à deux cadavres… au même emplacement que les deux personnages dans la dernière scène du jeu… Ouch.

Ah tiens des mouches, je me demande bien ce que cela peut être.

Ah tiens des mouches, je me demande bien ce que cela peut être.

Cependant on n’est pas encore au niveau d’un Braid, jeu très sympathique où, coïncidence, vous jouez aussi avec le temps afin d’aider un homme à passer des niveaux remplis d’énigmes et de plateformes pour sauver sa dulcinée. Enfin « sauver », jusqu’à ce que vous vous rendiez compte dans le dernier chapitre que vous êtes en fait le persécuteur de la demoiselle.

Mais mince, maintenant que j’y pense, même le premier Donkey Kong vous met dans la peau d’un gars qui martyrise son gorille jusqu’à que ce dernier pète un plomb et kidnappe la copine du « héros ».

Alors dans ce cas, où se trouve la différence par rapport aux autres médias ?

Déjà par l’intégration du gameplay qui offre des récompenses au joueur peu importe l’histoire.

Au final, quelle importance que je sois l’origine de la folie du gorille, j’ai réussi à grimper en haut d’un immeuble en évitant la réserve de barils que le primate me lançait et j’ai été récompensé à chaque fois par des points !

Cependant, je parle ici de jeux dont l’influence du joueur sur l’histoire est limitée.

Les jeux plus ouverts semblent aussi, dans leur majorité, ne pas trop bousculer les choix moraux du joueur. J’ai beau détenir une masse maléfique et avoir commis une tonne de larcins, cela ne m’a pas empêché de devenir Archimage dans Skyrim. Les actions des joueurs ont beau avoir des répercussions sur le monde, celles-ci sont limitées, contrôlées afin que jamais le joueur ne se retrouve coincé dans une situation répétitive et ennuyeuse ou l’empêchant d’exploiter les possibilités du jeu.

La particularité de Life is Strange est qu’il se situe entre ces deux extrémités, suivant une trame définie où le joueur peut quand même l’influencer grandement de manière simple à l’aide d’un système de choix directs de discussions et d’actions. L’accent n’est donc plus mis uniquement sur la bonne exécution d’une série d’actions ou de stratégies mais sur la capacité à modifier l’histoire dans la direction que l’on entend.

The walking choices

D’ailleurs, la pancarte en début de jeu disant que l’histoire s’adaptera à vos actions ne vous rappelle rien ? Oui toi au fond ! Geek des jeux narratifs ! Les jeux Telltale ? Bingo !

*L’auteur se souviendra de ça*

Ou "Vos choix vont entraîner la mort des personnages que vous aimez".

Ou « Vos choix vont entraîner la mort des personnages que vous aimez ».

En effet, c’est le même message qu’au début des jeux narratifs Telltale depuis The Walking Dead saison 1. D’ailleurs, parlons-en de The Walking Dead, lui aussi contient un final se terminant par un choix dur (quoique beaucoup moins grave en conséquences) et une fin triste, mais je n’ai pas eu l’envie d’aller mettre une patate de forain au créateur du jeu pour autant.

La raison se trouve dans le contexte. Contrairement à Life is Strange, le personnage que l’on incarne n’est pas entièrement responsable de la situation actuelle, personne ne sait d’où vient ou comment l’invasion de zombies a commencé et pourtant elle est responsable de la transformation des personnages et des drames qui leur arrivent. De plus, même si un choix peut sembler difficile et entraîner des conséquences malheureuses, il est toujours contrebalancé par le fait qu’il y a toujours une « bonne » raison pour que vous ayez pris cette option, même dans le choix final.

Et quand on regarde la majorité des nouvelles productions narratives de Telltale, elles se basent sur ce schéma : un ou des personnages tentant de survivre ou d’accomplir une mission dans un environnement qu’ils ne maîtrisent pas.

Or, dans Life is Strange, tout tourne autour de Max et elle devient responsable d’absolument tout dans l’univers du jeu. Et le jeu ne laisse aucune possibilité au joueur d’éviter les drames qu’il provoque, ce qui amène… de la frustration.

Wibilly Wobbly Timey Wimey

Donc si on résume, la fin de Life is Strange est frustrante car elle porte comme responsable l’héroïne et par extension le joueur de l’ensemble des catastrophes qui se sont passées. Elle réduit à néant le bénéfice des bonnes actions que l’on a accomplies dans les épisodes précédents. De plus, le jeu ne laisse aucune vraie issue au joueur pour éviter cela alors que sa nature même d’œuvre vidéoludique est censée lui donner ce droit, d’autant plus dans une œuvre narrative basée sur l’histoire. Le tout est accentué par le fait que l’ensemble de l’épisode est oppressant et qu’aucun détachement au personnage est possible.

Heureusement, il reste une forme de catharsis présente qui allège un peu le poids mais pour certaines personnes cela risque de ne pas être suffisant.

En fait, la fin aurait pu être excellente si Life is Strange était un film ou un comic book car il aurait laissé au spectateur le loisir de se détacher de la situation de Max sans pour autant perdre son empathie pour elle car il n’est pas responsable de ses choix.

Je le répète, le but de cet article n’est pas de dire que Life is Strange est un mauvais jeu. Il reste une expérience intéressante pour tout fan de jeu d’aventure ou de narration. L’objectif n’est pas non plus de dire que DontNod, son développeur, a eu tort de faire une telle fin, déjà parce que d’autres personnes l’ont aimée et aussi parce que le studio a tenté d’expérimenter quelque chose de différent au final. Et ce n’est qu’en se lançant dans l’inconnu que l’on peut avancer que ce soit par ses succès ou échecs. Le fin mot de l’histoire, c’est encore une fois le temps qui le décidera.

En attendant jouez bien, créez bien et surtout portez-vous bien.

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Réactions

  • Employee 427 le 07/11/2015

    Personnellement j’ai adoré la fin de Life is Strange. J’aime bien l’idée que l’on ne puisse pas entraver la réalité sans que cela n’ait de conséquences… Je l’ai même trouvée poétique, laissant au joueur le choix d’interpréter cela comme le destin (Chloé devait mourir, ou alors vivre au prix d’un énorme sacrifice), ou au contraire de la causalité pure, de la théorie du Chaos (d’où le fameux dicton disant qu’un petit battement d’aile d’un papillon au Brésil peut provoquer un ouragan au Texas). C’est une fin dans laquelle tout le monde peut se retrouver.

    Après je dis ça, mais ça m’a un peu fendu le coeur de devoir faire ce choix final, bien que j’avoue que mon temps de réflexion fut assez court. Je suppose que je suis plutôt utilitariste comme personne. Mais je ne trouve pas que le jeu nous fasse payer pour nos actions. Au contraire, à travers ce périple, ce qu’il tente de nous dire, c’est qu’il n’y a pas de solution magique à nos problèmes. Il n’y a pas d’échappatoire. La vie est comme elle est, et nous devons trouver le courage d’affronter nos problèmes par nous-mêmes. Je trouve ça même plutôt sage (bien que oui, je l’admets, c’est plutôt rude car l’attachement aux personnages est énorme).

    Big up à la demie-heure où Max est inconsciente et où l’on arpente sa conscience torturée. J’en ai eu des frissons tellement l’imagerie employée était appropriée. Pour le coup, je trouvais les écureuils assez anecdotiques. Ce qui m’a surtout marqué, c’est d’une part tout le périple vers le phare (dans le noir), mais aussi dans le girls dormitory où Max, en ouvrant une porte, revenait toujours à son point de départ. J’ai trouvé ça excellent et cela m’a fortement évoqué Dream, un petit jeu que j’ai eu l’occasion de tester ici-même d’ailleurs. 😀

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