Steelrising
Dire que l’année 2022 aura été marquée au fer rouge par From Software serait un doux euphémisme au sortir des Game Awards. Non content d’avoir vampirisé à lui tout seul l’actualité du jeu vidéo pendant la majeure partie de l’année, voilà que Elden Ring rafle le titre si convoité de jeu de l’année. Présent au coeur de toutes les discussions, aussi bien auprès des fans hardcore du studio que des nouveaux venus, non sans relancer le sempiternel débat autour de la difficulté et l’accessibilité du jeu vidéo, le titre de From Software magnifie la formule Dark Souls en embrassant le monde ouvert avec un talent proche de celui des équipes d’un Breath of the Wild. Et pourtant, parmi les fans de From Software se tient toute une frange de joueurs se sentant orphelins. Car ce n’est pas un « nouveau Dark Souls » qu’ils attendent eux, que du contraire : le jeu de leur coeur s’appelle Bloodborne, et ils sont nombreux à réclamer à cor et à cri un retour dans l’univers de cette exclusivité PS4. Aussi, en attendant le prometteur Lies of P du studio coréen Neowiz Games, les âmes damnées en manque de Bloodborne n’ont pas été oubliées des développeurs plus modestes et c’est ainsi que les Français de chez Spiders nous proposent leur propre déclinaison de la formule à base de roulades, barre d’endurance et mur de difficulté : Steelrising.
Déjà, proposer un « Souls-like » est en soi audacieux pour Spiders : le studio est effectivement plus connu pour ses RPG qui restent plus souvent dans les mémoires pour le soin apporté à la création de leurs univers que pour leurs mécaniques de gameplay et systèmes de combat. Alors quand, en prime, le jeu se permet de lorgner du côté de Bloodborne en puisant tout autant dans sa direction artistique que dans certaines subtilités de son gameplay, on ne peut que l’attendre au tournant. Prenant place durant la révolution française – ou plutôt une relecture steampunk de cette dernière où les automates deviennent des soldats indépendants – Steelrising nous fait incarner Aegis, une automate danseuse reconvertie en ces heures sombres pour devenir la garde personnelle de Marie-Antoinette. La révolution faisant rage, le roi a déchainé ses automates dans les rues de Paris pour mater la rébellion, et c’est pour l’arrêter que Marie-Antoinette envoie Aegis, notre avatar, retrouver le créateur des robots mortels : Eugène de Vaucanson (directement inspiré de l’artisan Jacques Vaucanson connu justement pour ses… automates !).
Bien que nous soyons face à un « clone de Dark Souls » comme nous le laissent constater les premières rixes, l’ADN du studio Spiders est bien présent et vient apporter quelques variations à la formule. Les développeurs français se sont fait une réputation au fil de leurs sorties, venant fédérer une communauté de fans autour de leurs jeux, et vu le changement radical de direction en comparaison avec leurs précédentes productions, les équipes de Spiders se sont assurées de ne pas perdre cette renommée dans la transition. Ainsi, outre de nombreux modificateurs permettant de bidouiller la difficulté du jeu à la carte (grosso modo, la gestion des barres, l’agressivité des ennemis et les conséquences de la mort – non sans désactiver les succès au cours de la partie, comme pour préciser comment le jeu est pensé malgré tout), Steelrising adopte une narration beaucoup plus prononcée que dans les jeux de l’illustre modèle en venant parfois noyer le joueur sous les cinématiques.
Pour ce qui est des combats, on navigue forcément en terrain connu et, une fois l’inertie du jeu adoptée, les affrontements deviennent rapidement plaisants. A l’instar de Bloodborne, Steelrising encourage ses joueurs à l’agressivité et à la nervosité. Aegis bouge bien, et ses origines de danseuse se ressentent dans ses animations pourtant « robotiques ». On a souvent tendance à dire que les combats dans les Souls-like sont de véritables danses entre le joueur et la machine tirant les ficelles de son adversaire, et il est amusant de voir cette métaphore prendre littéralement vie à l’écran. Un bouton de saut vient d’ailleurs agrémenter cette mobilité, de même qu’une mécanique très intéressante permettant aux joueurs les plus aguerris d’étendre à l’envi leur barre d’endurance en plein combat. Est-il besoin de rappeler que chaque attaque et chaque esquive viendra drainer la barre d’endurance de notre personnage ? Une fois sa barre d’endurance vide, Aegis marchera plus lentement, incapable d’attaquer ou d’esquiver tant que ladite barre ne se sera pas entièrement rechargée. Un peu comme dans un Gears of War (oui, c’est complètement deux salles deux ambiances) où il était possible d’accélérer le rechargement des armes avec le bon timing, il est possible d’interrompre prématurément la recharge de la barre d’endurance. Selon le timing, il est même possible d’en obtenir un boost considérable mais attention à ne pas vous rater sous peine de voir votre personnage subir des dégâts supplémentaires. Le panel d’armes à disposition est relativement intéressant avec de nombreux outils pour équiper notre mortelle danseuse, chaque arme disposant de son propre gameplay et de ses compétences liées – pensez aux cendres de guerre d’Elden Ring mais propres à chaque arme.
L’un des plus gros points faibles de Steelrising pèse malheureusement beaucoup dans la balance. Si les productions From Software étaient une pièce de monnaie dont les combats composaient le côté pile, alors le côté face serait assurément le level design. From Software nous l’a d’ailleurs encore montré avec maestria en février dernier : Elden Ring est le premier monde ouvert des équipes de Miyazaki, qui ont réussi là où de nombreux studios continuent de se casser les dents au fil des jeux, tant tout leur monde est cohérent et organique sans jamais perdre le joueur ni le noyer sous les innombrables icônes. Steelrising n’a pas à rougir de son côté pile, mais il pèche complètement du côté face ! Je reconnais qu’il est peut-être injuste de comparer Steelrising à Elden Ring sous prétexte qu’il soit sorti six mois plus tard, d’autant plus que contrairement à ce dernier Steelrising n’est pas un monde ouvert, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que quand je bloque plusieurs heures à tourner en rond dans la même zone sans trouver le seul endroit où je devais me rendre alors que je ne me suis jamais senti perdu ni bloqué par le level design d’Entre-Terre, c’est qu’il y a un problème.
Dommage que ces soucis de lisibilité viennent entacher l’expérience, car Steelrising bénéficie d’une direction artistique relativement soignée – à l’exception de la répétitivité des designs d’automates ennemis, à moitié justifiée par la diégèse du jeu. Après tout, qui de mieux que des développeurs français pour retranscrire toute la magnificence de Paris en opposition à la barbarie de la révolution ? Ce soin est apporté jusque dans la composition musicale – signée pourtant par l’Anglais James Hannigan – qui parvient à intégrer avec brio clavecins et violons typiques dans la grandiloquence venue de l’influence Bloodborne pour un résultat épique. Il est donc plus que regrettable de constater que dans un évident désir de faciliter l’exportation de son titre, Spiders a opté pour une version anglaise uniquement, ponctuée de-ci de-là de quelques mots en français venant trahir une prononciation hasardeuse. Ce simple détail empêche la direction artistique de briller pleinement. Côté technique, le jeu est sublimé par de jolis effets lumineux et tient sans sourciller ses sacro-saintes 60 images par seconde en toutes circonstances.
Note
14/20
Pour un premier essai dans le domaine du Souls-like, les Français de chez Spiders - plus connus pour leurs RPG - auraient pu se planter en beauté. Manette en main, Steelrising est un jeu plaisant, certes entaché par moments d'un level design rétrograde mais fort d'une direction artistique originale offrant au titre un cachet certain.
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